Toutes deux montagnardes, Heidi Sevestre et Murielle Blanc se sont rencontrées à un moment où elles avaient « mutuellement besoin l’une de l’autre », affirme la glaciologue. Pour la VP RSE des laboratoires pharmaceutiques Biocodex, séduite par cette jeune femme légitime et énergique, il s’agissait à l’origine de sensibiliser le top management de l’entreprise à son impact carbone, et à la nécessité de le découpler de sa forte croissance.
Entreprise familiale fondée il y a soixante ans, Biocodex est devenu un acteur international de premier plan dans le domaine des microbiotes De son côté, la scientifique souhaitait expérimenter un rôle « moins élitiste » que celui qui leur est habituellement réservé. Résultat : la collaboration a rapidement dépassé l’événement interne réunissant 200 cadres de 17 nationalités et cultures différentes, organisé à l’automne 2024. « Nous avons décidé d’emmener Heidi dans tout notre dispositif « décarbo-show », explique Murielle Blanc.
Du centre de R&D au bureau bruxellois, en passant par l’usine de production de Beauvais, où elle s’est rendue à deux reprises en 24 heures, ses interventions trouvent un écho puissant. « Partout où nous sommes implantés, Heidi a su mettre en évidence les liens entre les glaciers, l’eau et l’industrie », se félicite-t-elle. « C’est un sujet fort, qui fait voyager par la beauté des images, mais avec lequel on ne peut pas transiger », renchérit la glaciologue. Plus de 1200 collaborateurs ont ainsi été sensibilisés aux enjeux climatiques en 18 mois, avec de premiers résultats sur la consommation d’eau et les émissions de CO2 obtenus sur le site de Beauvais.
Sensibiliser d’abord les équipes internes
Depuis l’arrivée d’un nouveau PDG en 2021, la RSE est devenue centrale pour les laboratoires Biocodex. Convaincue de la nécessité de « conserver une croissance saine pour financer notre transition », l’entreprise a développé sa propre fresque, adaptée à sa chaîne de production, et des outils de scoring internes, inspirés de l’analyse de cycle de vie (ACV) mais plus agiles.
Elle appartient à la vague 2 des entreprises concernées par la CSRD (Corporate sustainability reporting directive). Bien que cette directive européenne de reporting extra-financier (appliquée par les plus grands groupes depuis le 1er janvier 2025) soit actuellement en suspens, Biocodex n’entend pas « prendre la pause » et vise toujours le dépôt d’un premier rapport audité pour 2026 et du rapport cible en 2028.
Comme le lui a enseigné son bilan carbone, 57% de ses émissions sont imputables à sa chaîne de valeur amont ou aval (achats, fret, etc). Mais ses cibles prioritaires demeurent les équipes internes, « les acheteurs avant les fournisseurs », comme le résume Murielle Blanc. Et tant pis si son objectif de réduction de 30% de ses émissions entre 2024 et 2032 n’est pas certifié SBTi, car « au-delà, il est difficile d’embarquer les équipes ».
C’est dans les collectivités et les entreprises que les choses bougent
Il reste plus complexe d’agir sur l’impact environnemental des médicaments, soumis à de nombreuses contraintes, que sur d’autres produits de la gamme (culottes périodiques, compléments alimentaires, etc.). Mais Biocodex entend exploiter tous les leviers à sa disposition pour diminuer celui de ses prochaines formules. Pour Heidi Sevestre, « c’est en trouvant les personnes clés et les moments clés » que l’on peut identifier des leviers adaptés à toutes les fonctions et tous les niveaux de l’entreprise, ce qui permet d’inspirer aux équipes plus d’espoir et de fierté que d’anxiété, et favorise le passage à l’action.
Reconnaissant qu’elle passe habituellement trop de temps avec le top management, la glaciologue affirme avoir appris beaucoup au contact des équipes sur le terrain. Ce qui lui a donné « des tas d’idées à partager auprès d’autres entreprises ou de collectivités. » Car, « c’est là que les choses bougent », alors que les cibles principales des scientifiques restent habituellement les gouvernements.