Inventer de nouveaux récits pour rendre désirable une société plus sobre, écologique et solidaire, transformer nos imaginaires et notre système de valeurs… cette nécessité fait désormais consensus. Or, à travers les œuvres présentées, qu’il s’agisse d’art plastique ou de spectacle vivant, le secteur de la culture a un rôle majeur à jouer dans cette transformation. Rassemblés dans la salle principale du théâtre de l’Odéon en ce matin d’automne pour débattre de la nécessaire adaptation de la culture au changement climatique, les professionnels affirment que les enjeux liés aux transformations écologiques et sociales se reflètent à travers les œuvres des artistes contemporains.
Au-delà des spectacles et des tableaux, cette réflexion conduit les acteurs de la culture à repenser leur rôle dans la société : lieux refuge, lieux de mémoire, de connaissance, de médiation…Ainsi, l’Odéon envisage de se transformer en développant diverses activités (café, médiathèque, ateliers, etc.) lui permettant d’accueillir du public tout au long de la journée. Pas seulement pour mettre à disposition d’un public élargi un espace frais et abrité, mais aussi pour de recréer du lien social là où il a tendance à se déliter. En effet, comme le rappelle une participante « Plus que jamais, se pose la question de savoir « avec qui seras-tu quand l’eau montera ? » »
Des établissements menacés par la chaleur, les pluies, les crues
C’est une image, mais le fait est que les établissements culturels, musées en tête, ne sont pas à l’abri des inondations qui se multiplient, des crues (à Paris, plusieurs musées emblématiques sont implantés en bords de Seine), voire, à plus longue échéance, de l’élévation du niveau de la mer. C’est ce que montre l’étude « Les musées français face aux effets du changement climatique » menée par l’association Les Augures – qui accompagne le monde de la culture et ses organisations dans leur transition écologique et sociale – et le cabinet EcoAct. D’autres impacts se font d’ores et déjà sentir. Malaises dans les files d’attentes sur des parvis minéraux chauffés à blanc, spectateurs étouffant en matinée dans des théâtres mal isolés, visiteurs cuisant derrière d’immenses verrières de musées, techniciens enfermés des heures dans des locaux en surchauffe…autant d’effets de vagues de chaleur toujours plus fréquentes et plus longues. Les conditions de conservation des œuvres s’en ressentent, elles aussi. Sur le plan économique, baisse de fréquentation ou spectacles annulés entraînent une baisse de revenus des établissements. D’autant plus qu’au-delà des conséquences directes, ils appartiennent à des écosystèmes plus larges et sont tributaires notamment d’infrastructures de transport et d’énergie, elles-mêmes susceptibles d’être affectées par des aléas climatiques. Or l’assurance ne tient pas compte aujourd’hui de ces aléas.
L’adaptation, une opportunité pour remobiliser les énergies
Plusieurs publications reflètent la prise de conscience relativement récente de cette nécessité de s’adapter. Issue d’une enquête menée début 2025 sur la perception des risques climatiques par les professionnels du spectacle, la note de l’association ARVIVA « S’adapter maintenant pour ne pas subir demain » appelle à une meilleure intégration des enjeux d’adaptation dans les préoccupations collectives du secteur. Publiée en juillet 2025, « Jouer à 50° C » a été commandée par le théâtre de l’Odéon au changement climatique afin d’étudier les risques liés au changement climatique de manière systémique, et de formuler des préconisations pour orienter sa transformation.
Mais les obstacles sont légion, aussi bien techniques, économiques ou…culturels. À l’image du musée d’Orsay ou du théâtre de l’Odéon, nombre d’établissements sont aujourd’hui inadaptés aussi bien aux vagues de chaleur qu’aux fortes précipitations. Mais les bâtiments parisiens sont construits sur un entrelac de réseaux qui rend tous travaux complexes. Et tout projet de végétalisation ou d’isolation de ces bâtiments, en partie classés à l’inventaire des Monuments historiques, se heurte à l’opposition des Architectes des Bâtiments de France. Une posture jugée trop rigide, qui suscite de plus en plus de critiques.
En revanche, les professionnels s’accordent sur un point : l’adaptation est aussi une opportunité de remobiliser une énergie quelque peu épuisée par des efforts d’atténuation du changement climatique pas toujours couronnés de succès à l’échelle mondiale. D’autant plus que les enjeux économiques incitent de nouvelles fonctions à s’y intéresser.
Le rôle de la culture en tant que vecteur puissant pour façonner de nouveaux imaginaires collectifs reste cependant le plus puissant et sans doute le moins complexe à exploiter.