Semaine de 4 jours, une utopie, mais pour qui ?

À en croire la multiplication des entreprises se lançant dans ce nouveau format de cadre salarial, il semblerait que travailler moins ne soit pas qu’un avantage pour les salariés. Une fois de plus, les chiffres et engagements en cascades démontrent que la transition sociale et solidaire peut se conjuguer durablement avec la performance économique des entreprises. Pour mieux comprendre ces enjeux, l’importance et les avantages d’une transition des entreprises en interne, nous rencontrons les dirigeants de Welcome to the Jungle et l’agence YZ, deux acteurs qui ont décidé de sauter le pas et d’adopter la semaine de 4 jours. 

Julien Le Corre est cofondateur de l’agence parisienne YZ, et Camille Fauran, directrice générale de Welcome to the Jungle. Tous deux croient en la nécessité d’une mutation profonde de la structuration des entreprises. Au delà de la Raison d’Être et de la réduction carbone, au delà de la communication, du raccourcissement des circuits de production ou encore de la sobriété numérique, c’est aussi d’une transition sociale et solidaire dont on parle. Une transformation qui doit prendre racines en interne. Passé le boom des open-spaces et du « management  horizontal », il est temps de revoir le cadre salarial. Au menu, une semaine de 4 jours. 

Chez Welcome to the Jungle, après une phase test entre juin et octobre 2019 avec 80 de ses salariés, la semaine de 4 jours est définitivement instaurée sans baisse de salaire. Très impliquée dans l’amélioration de l’équilibre vie pro-vie perso, l’entreprise voit dans ce rythme l’occasion de renforcer le bien-être au travail et d’accroître la performance et l’engagement des salariés. Welcome to the Jungle tire le bilan de cette nouvelle organisation du travail dans une étude de 80 pages permettant de partager son expérience avec d’autres entreprises pour les inviter à questionner l’expérience au travail. 

Quant à YZ, en plein questionnement face à de nouveaux modèles de performance privilégiant l’épanouissement de ses salariés, l’agence s’investit dans le « 4-Day Week Challenge » : une semaine de 4 jours durant tout le mois de novembre, et pour tous ses salariés. Une phase de test permettant de mesurer son impact et définir les contours de ce que sera par la suite le plan définitif adopté. 

The Good : Chez Welcome to the Jungle, quels ont été les principaux enseignements de l’étude et de la phase de test qui vous ont poussé à adopter fermement la semaine de 4 jours ?

Camille Fauran : L’une des principales conséquences du passage à la semaine de quatre jours a été l’impact positif sur le bien-être et l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle chez les salarié·es, dont la productivité a également été stimulée. Les enquêtes ont révélé une baisse significative des niveaux d’anxiété, associée à une hausse du sentiment de maîtrise. Pour les profils plus créatifs, le jour non travaillé a ouvert le champ des possibles – un temps de respiration bénéfique à la qualité́ de leur travail le reste de la semaine.

A la fin de la phase de test, une large majorité s’est exprimée en faveur du maintien de la semaine de quatre jours. De nouvelles habitudes ont été prises, la souplesse dans le choix du jour non travaillé est perçue comme un vrai plus et travailler durant le week-end appartient au passé. Si l’expérience ne s’est pas faite sans quelques accrocs, les collaborateurs se sont adaptés rapidement, et ont plébiscité la création d’un guide pratique pour être accompagnés dans ce nouveau contexte.

The Good : Julien le Corre, pouvez-vous nous raconter votre nouvelle politique de travail qui s’étend sur novembre chez YZ et ce qui vous a poussé à mettre en place un tel challenge ?

Julien Le Corre : Si nous testons la semaine de 4 jours c’est parce que nous pensons que le bien-être de nos collaborateurs est bénéfique à l’entreprise. Nous nous sommes fixés plusieurs indicateurs à évaluer : le nombre d’heures réellement travaillées, la productivité, la satisfaction collaborateurs, et la satisfaction client. Nous allons réorienter totalement l’outil 15Five, que nous utilisons depuis 6 mois, vers le monitoring de cette expérience. Il permet à chaque collaborateur de faire un feedback hebdomadaire détaillé de ses objectifs et de son état d’esprit. Et nous allons interroger régulièrement nos clients pour savoir s’ils constatent une évolution du niveau de service et de la qualité des livrables.

The Good : S’il est d’abord question de bien-être des employés, il est aussi question de croissance et de développement de l’entreprise. Comment mesurer l’impact et les bénéfices de ce nouveau cadre de travail ? Avez-vous d’ores et déjà des résultats à nous communiquer sur ses bienfaits ?

Camille Fauran : Pour nous accompagner dans ce grand changement organisationnel, nous avons sélectionné deux partenaires-clés. Fabernovel, connu notamment pour son expertise en changement organisationnel, a posé un cadre méthodologique. Un groupe de recherche composé de neuroscientifiques a également été constitué pour apporter une analyse scientifique et étudier l’impact psychologique de la semaine de quatre jours sur les salarié·es.

Chaque mois, l’ensemble de collaborateur-ices a répondu à des questionnaires quantitatifs relatifs à la dimension psychologique de l’expérience (anxiété, stress, sentiment de maîtrise, qualité de vie, estime de soi). Des entretiens individuels ont été menés parallèlement portant sur l’organisation du travail, la gestion du temps, la culture d’entreprise et la productivité.

L’essai grandeur nature conduit autour de la semaine de quatre jours a été riche en enseignements pour l’entreprise, non seulement sur les conditions de réussite d’un changement organisationnel majeur, mais aussi sur l’émergence de solutions d’optimisation de la performance. La réduction du temps de travail de 20% ne s’est pas accompagnée d’une baisse équivalente de la performance au sein des différentes équipes, et des changements ont été introduits afin de stimuler la productivité : seules les réunions impératives ont été conservées, les processus de communication interne ont été repensés, des outils d’automatisation des tâches ont été implémentés et les indicateurs de performance revus, pour permettre l’évaluation des résultats d’un point de vue qualitatif et sur le long terme.

Julien Le Corre : Si nous testons la semaine de 4 jours c’est parce que nous pensons que le bien-être de nos collaborateur-ices est bénéfique à l’entreprise. Nous nous sommes fixés plusieurs indicateurs à évaluer : le nombre d’heures réellement travaillées, la productivité, la satisfaction collaborateurs, et la satisfaction client. Nous allons réorienter totalement l’outil 15Five, que nous utilisons depuis 6 mois, vers le monitoring de cette expérience. Il permet à chaque collaborateur-ice de faire un feedback hebdomadaire détaillé de ses objectifs et de son état d’esprit. Et nous allons interroger régulièrement nos clients pour savoir s’ils constatent une évolution du niveau de service et de la qualité des livrables.

The Good : Comment cette nouvelle dynamique s’inscrit-elle dans la transition écologique, sociale et solidaire de votre business ?

Camille Fauran : La semaine de 4 jours s’inscrit effectivement dans une approche durable pour permettre à nos collaborateur-ices de se projeter dans la durée avec nous. En outre elle s’inscrit dans des engagements qui sont importants dans notre ADN. Elle a notamment contribué à l’attribution de notre certification BCorp.

Julien Le Corre :  Depuis le lancement d’YZ en 2017, nous sommes déterminés à réinventer – à notre niveau – le modèle des agences de communication, à bout de souffle. Tout d’abord par la typologie de clients pour lesquels nous travaillons : 50% de notre activité porte sur l’accompagnement de projets à impact positif, avec des clients issus de l’économie sociale et solidaire, d’institutions publiques, de start-up “purpose native” ou du monde associatif, avec une part importante en mécénat de compétences. Ensuite, par notre façon de travailler et de diriger notre structure : télétravail et totale liberté de mouvement pour nos collaborateur-ices, réduction du temps de travail, redistribution des profits avec 1% For the Planet, certification B-Corp en cours. Enfin, par l’action que nous menons au sein même de notre secteur d’activité, en prenant la tête d’un collectif d’agences engagées pour la transition écologique de notre métier. Essayer la semaine de 4 jours, c’est une étape parmi d’autres pour mettre l’entreprise au service de l’humain.

The Good : Ce type de modèle est-il applicable à n’importe quelle entreprise ? Si non, quelles autres options ? 

Camille Fauran : Welcome to the Jungle a implémenté la semaine de 4 jours dans une volonté de questionner de manière un peu radicale le rapport au temps de travail et d’apporter une réponse concrète et durable au sujet de l’équilibre vie pro vie perso. Ce rythme est un réel engagement pour une entreprise et doit être porté par une conviction affirmé des dirigeant-es. Il ne peut pas être mis en place uniquement à des fins de marque employeur ou de communication. Nous ne pensons en ce sens pas qu’il soit une réponse universelle et n’avons pas pour ambition de généraliser la pratique mais a minima nous souhaitons questionner les entreprises sur leurs réflexions et ce qu’elles souhaitent proposer sur les sujets d’équilibre de leurs collaborateur-ices.


Julien le Corre : Tout comme le télétravail n’est pas applicable à l’ensemble des entreprises, la semaine de 4 jours n’est sans doute pas généralisable à tout le monde du jour au lendemain. C’est pour cela que nous avons choisi l’approche de l’expérimentation. Nous sommes prudents : nous n’avons aucune certitude ! Essayons, et voyons comment ça se passe. Et nous invitons toutes les entreprises qui le souhaitent à tenter l’expérience avec nous. Le confinement a forcé tout le monde à tester le télétravail, même ceux qui n’auraient jamais osé s’y convertir. Mais nous devons être capable d’expérimenter des choses sans y être obligés.

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