Monnaies locales : une porte d’entrée dans la transition

Dix ans après leur création, plus de 80 monnaies de proximité sont utilisées dans l’hexagone. Un essor qui a permis de privilégier l’économie réelle, la consommation en circuit-court et le commerce de proximité, d’après une étude approfondie du Mouvement Sol. 

La monnaie locale est loin d’être une lubie de régionaliste sécessionniste qui ne voudrait plus toucher un seul centime d’euro de la Banque Centrale Européenne. Si on jette un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire, l’utilisation de deniers alternatifs remonte a minima au Moyen-Âge, époque à laquelle les villes françaises émettaient couramment leur propre monnaie pour des questions de fluidité des échanges. Mais le terme de monnaie locale n’est apparu qu’en 1929, lors de la Grande Dépression. Tandis que l’économie mondiale était à terre, en Autriche, la petite ville de Wörgl introduisit un système de bon local afin de relancer l’emploi et son économie. La modeste ville de 4000 habitants vit en quelques mois son chômage chuter drastiquement sans connaître d’inflation, quand le reste du pays souffrait très largement de la crise. L’expérience de Wörgl a fait date dans le paysage économique. Aujourd’hui, plusieurs communautés s’en sont inspirées pour introduire leur propre monnaie locale, dont la France.

13 000 communes dans l’hexagone

La France est le pays d’Europe qui accueille le plus grand nombre de monnaies complémentaires, à savoir 82. Parmi elles, l’Eusko pour le Pays basque, la Doume dans le Puy-de-Dôme, le Sol Violette à Toulouse ou encore la Gonette à Lyon. Des monnaies aux noms vernaculaires qui prennent place dans un territoire géographique limité, allant de la ville au département. Le Mouvement Sol, réseau national des monnaies locales, a mené à ce titre une étude pendant un an et demi pour en mesurer l’impact global. Premier résultat : 40 000 particuliers utilisent une monnaie complémentaire, et ce auprès de 10 000 entreprises ou associations. Au total, 13 000 communes françaises y prennent part de près ou de loin, avec un total de 5 millions d’euros en circulation. Charlotte Bazir, chargée de communication au Sol, y voit un « outil de transformation, une porte d’entrée dans la transition ». Au-delà des épiceries bio et locales qui participent au mouvement, « de plus en plus d’agences de communication, de librairies, de magasins de vêtements rejoignent le principe des monnaies complémentaires ». Une pluralité d’acteurs qui souligne l’effet levier des monnaies alternatives.

Une économie locale accrue

L’étude révèle que l’impact d’une monnaie alternative sur l’économie locale est très largement positif. La solidarité et le bouche-à-oreille produisent un rôle actif au sein du réseau, faisant circuler les recommandations de voisins à voisins, de collègues à collègues, fidélisant par la même occasion les consommateurs. « En circonscrivant la circulation d’une monnaie locale à un territoire donné, on observe un réinvestissement des revenus gagnés sur ce même territoire », explique Charles Lesage, délégué général du Mouvement Sol. Pour preuve, 70% des professionnels affirment ne jamais reconvertir en euros l’argent perçu. Selon l’étude, une monnaie locale génère d’ailleurs entre 1,25 et 1,55 fois plus de revenus locaux qu’un paiement en euros. Une hausse qui s’explique par le fait que l’argent reste dans l’économie réelle. Autre impact remarquable : les sondés devant utiliser leur monnaie locale dans des magasins dédiés, ils affirment avoir découvert de nouveaux aspects de leur territoire : lieux culturels, objets d’artisans, vêtements cousus main… Un premier pas vers une transformation des modes de consommation.

Écologie, solidarité et citoyenneté

Sur la question écologique, 48% des sondés déclarent avoir augmenté leur consommation de produits locaux, et 36% pour les produits bios. À l’inverse, 69% d’entre eux se rendent moins souvent en grande surface depuis l’introduction d’une monnaie locale sur leur territoire. Une conduite plus écologique liée à la rencontre d’autres personnes engagées.  “Quand on intègre un réseau de monnaie locale, on entre en contact avec d’autres acteurs engagés, ce qui facilite les bonnes pratiques, mais aussi un imaginaire collectif de la transition” précise Charles Lesage. C’est aussi en matière de solidarité que les retombées sont positives. 80% des professionnels déclarent avoir recommandé un confrère qui accepte la monnaie locale. Un soutien réciproque qui produit un maillage communautaire. Au Pays basque, l’Eusko reverse carrément un pourcentage des montants échangés à des associations. Enfin, les monnaies alternatives augmenteraient l’état de citoyenneté en nous. 40% des adhérents ont déjà participé à une décision au sein de leur association de monnaie locale. Face à une telle pluie de bonnes nouvelles, pourquoi les monnaies locales ne se développent-elles pas plus vite encore ? Car ces deniers alternatifs sont lancés par des associations bénévoles avec de faibles moyens. Mais les partenariats croissants avec les collectivités territoriales ainsi que le déploiement du paiement dématérialisé pourraient bien accroître la portée de ces monnaies pas comme les autres.

Romain Salas
Romain Salas
Journaliste. Après une licence de droit à la Sorbonne et un master en médias et communication au CELSA, Romain tombe dans les charmes du journalisme et de l'écriture. Avec un tropisme fort pour l’écologie et la justice sociale, il imprègne dans ses choix éditoriaux un parfum d'engagement à la mesure des urgences de notre temps.

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