Et si les stations d’épuration devenaient les nouvelles zones humides de demain ? À Aix-en-Provence, la Régie des eaux du Pays d’Aix a transformé un espace de rejet en véritable écosystème naturel. Après plusieurs années de dysfonctionnement écologique, la zone végétalisée de la station d’Aix Ouest a été entièrement repensée : berges adoucies, végétaux locaux réintroduits, habitats diversifiés.
Un an après sa réhabilitation, le site affiche des résultats probants : reprise de 85 % des plantations, retour des amphibiens et d’espèces végétales rares, équilibre retrouvé entre épuration et biodiversité.
François Laurent, directeur général de la Régie des eaux du Pays d’Aix, revient pour The Good sur cette expérience pilote qui pourrait inspirer d’autres territoires.
The Good : Commençons par la “conclusion”, s’il vous plaît. Quels sont les résultats des travaux menés sur la zone de rejet des eaux traitées par la station d’épuration d’Aix Ouest?
François Laurent : Les indicateurs sont positifs après un an d’exploitation. 85 % des arbres plantés en 2024 (saules, peupliers, aulne, etc.) ont repris et nous constatons le développement significatif d’un couvert végétal typique de zones humides (menthe aquatique, cresson, véronique d’eau, massettes, roseaux). Ajoutez à cela qu’une prairie fleurie s’est installée sur les espaces terrestres, suite à une seule fauche tardive en 2024. Des espèces végétales typiques de zones humides et soumises à la pression anthropique ont été observées, comme la renoncule scélérate ou le populage des marais. Enfin, saluons le retour des amphibiens dans les bassins !
Ces résultats confirment que la zone de rejet végétalisée (ZRV) suit une trajectoire écologique conforme aux attentes, et qu’elle a désormais la capacité de jouer pleinement son rôle de réservoir de biodiversité.
The Good : Qu’est-ce qui a présidé à ce changement ? A quelle problématique souhaitiez-vous répondre ?
François Laurent : Dès la genèse du projet de la station d’épuration, mise en service en 2011, la Régie des eaux du Pays d’Aix aׅ eu la volonté de créer un espace tampon favorisant la biodiversité et assurant une continuité écologique entre la station et le milieu naturel, c’est donc tout naturellement qu’une ZRV a été intégrée au projet.
Mais, après plusieurs années d’exploitation, les résultats escomptés n’étaient pas au rendez-vous : la zone végétalisée peinait à remplir pleinement son rôle écologique, avec une végétation inadaptée, une colonisation par des espèces invasives et un appauvrissement des berges. D’où le lancement, en 2022, d’un projet de réhabilitation complet, repensant la ZRV non plus comme un aménagement paysager, mais comme une véritable zone naturelle.
The Good : Qu’est-ce exactement que cette zone tampon ?
François Laurent : C’est un espace avant le rejet des eaux usées traitées dans la rivière. Lorsque l’on construit une station d’épuration, un arrêté préfectoral fixe les performances épuratoires à atteindre et impose un rejet d’effluent conforme à ces paramètres. Le rejet traité est renvoyé de façon diffuse vers le milieu récepteur grâce à cette zone de rejet végétalisée. L’aménagement permet de diminuer l’impact sur la rivière.
Les niveaux d’épuration prévus par la règlementation ne sont pas les mêmes pour tous car ils sont fonction du milieu récepteur. Les effluents de la station d’Aix Ouest – qui traite les eaux usées de près de 30 000 équivalents habitants, avec un débit moyen de 3 800 m³/jour (en 2024) – rejoignent la rivière d’Arc, qui se jette dans l’étang de Berre, classé zone sensible. Cet étang est assez fermé, donc le renouvellement de l’eau est faible. Cette zone du périmètre de la Régie des Eaux du Pays d’Aix est soumise, par la réglementation, à des niveaux traitements parmi les plus poussés de France, notamment en azote et en phosphore
The Good : Comment avez-vous procédé pour réaménager la zone ?
François Laurent : Après un mois de travaux et 100 000 euros d’investissements portés par la Régie des eaux, les berges ont été reconfigurées afin de rééquilibrer l’écosystème. Nous avons réintroduit des végétaux adaptés (arbres, hélophytes, espèces herbacées) pour regénérer la zone, créé des îlots et des habitats variés pour diversifier la faune et la flore
Aujourd’hui, la zone est en observation. Nous y avons créé une nouvelle méthode de gestion avec la mise en place des mesures d’effluents dans le cadre d’un suivi dynamique en continu. Nous en avons fait un petit laboratoire grâce auquel nous améliorons le rejet. La microbiologie se met en place. Cette eau est encore mieux traitée. Nous faisons des analyses en entrée et en sortie. La zone accueille des insectes, des oiseaux, des insectes ; toute la chaîne de la biodiversité, et notamment des espèces vulnérables.
The Good : Comment avez-vous fait pour reconfigurer les berges ?
François Laurent : Les pentes des bassins étaient raides et l’ensemble était juste paysagé ; la ZRV n’ayant pas été conçue dans une logique de protection de la biodiversité. Nous avons reprofilé les berges en pentes douces pour que la biodiversité s’installe. Nous avons interconnecté les bassins pour favoriser la circulation de l’eau et stabiliser le régime hydraulique. L’objectif est que la nature y reprenne ses droits et que nos interventions soient réduites au minimum.
Un suivi écologique a également été mis en place sur cette ZRV, qui s’étend sur 1,5 hectare, pour évaluer la trajectoire du site et adapter les interventions au fil des saisons.
The Good : Qu’en est-il des indésirables ?
François Laurent : Nous avons effectivement des espèces végétales et animales qui font l’objet d’un suivi renforcé : l’azolle fausse-fougère, plante aquatique invasive, qui couvre ponctuellement jusqu’à 100 % de certains bassins. Si elle présente un intérêt pour l’épuration, sa prolifération excessive peut créer des déséquilibres (anoxie, obstruction des seuils). Des actions de récolte mécanique ponctuelle sont préconisées. Nous avons aussi des ragondins, déjà présents avant les travaux, mais une régulation de l’espèce est nécessaire pour en limiter les impacts.
Enfin, nous surveillons la tortue de Floride, espèce exotique envahissante, qui pourrait faire l’objet d’une régulation également, en lien avec des retours d’expérience menés ailleurs (étang de Mauguio, programme LIFE+).
The Good : Avez-vous connaissance d’autres zones de rejet sur lesquelles un projet similaire aurait été développé ?
François Laurent : Nous sommes novateurs dans la démarche. L’enjeu dépasse les aspects hydraulique et réglementaire en termes de traitements pour inclure des dimensions écologiques majeures. Ce projet s’inscrit dans une logique plus large d’adaptation au changement climatique et de lutte contre l’érosion de la biodiversité et la raréfaction des zones humides. La ZRV d’Aix Ouest devient ainsi une illustration concrète de la transition écologique appliquée aux infrastructures d’eau.
C’est aussi une vitrine pédagogique pour les enfants, pour expliquer le traitement des eaux usées ; une vitrine de ce qui peut être fait.
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