23/09/2025

Temps de lecture : 8 min

Transition bas carbone : Bassens, petite commune portuaire qui montre l’exemple

À Bassens, commune de 8 200 habitants en Nouvelle-Aquitaine, industrie portuaire et biodiversité ne s’opposent pas. Le maire, Alexandre Rubio, en fait un véritable laboratoire de transition bas carbone.

Pour cette commune de Nouvelle-Aquitaine, qui accueille le principal terminal du Grand Port Maritime de Bordeaux, il s’agit de concilier industrie et environnement, explique le maire, Alexandre Rubio, également conseiller métropolitain en charge de la gestion des risques inondation et technologiques et président du conseil de surveillance du Grand Port Bordeaux.

The Good : Bassens est, pour l’essentiel, un site industrialo-portuaire… que l’on associe avec pollution. Pourtant, vous avez obtenu de l’Afnor la certification responsabilité sociale des collectivités. Comment est-ce possible ?

Alexandre Rubio : 60 % du territoire de la commune de Bassens, 8200 habitants, est occupé par la zone industrialo-portuaire. Au cœur de cette zone, nous accueillons le principal terminal du Grand Port Maritime de Bordeaux. Ce qui veut dire bateaux, fret maritime, conteneurs, chantiers navals, mais aussi tout un écosystème autour du port, avec une industrie historiquement ancrée autour des ressources fossiles, et tous les dérivés qui se faisaient dans les années 30/40/50.

Sur cette zone, il y a quatre sites Seveso. Ce qui représente donc un certain nombre de contraintes et de risques technologiques auxquels s’additionnent des risques d’inondation. Tout ceci empilé donne une mauvaise image du site et pose la question de la place de l’industrie au sein du territoire métropolitain et de sa compatibilité avec une zone d’habitation à proximité. Car, nous nous vivons sur 40% du territoire… tout l’enjeu de notre projet de territoire est de rendre les choses compatibles. On n’oppose pas, on concilie.

Chacun – habitant, association, acteur économique, acteur public – fait partie du projet de territoire ; un projet ambitieux sur le plan environnemental et sur bien d’autres sujets. Bassens est une commune située à l’entrée de la presqu’île d’Ambès et une presqu’île est un territoire très vulnérable qu’il convient de protéger face aux nouveaux enjeux climatiques tels que le réchauffement climatique et la montée des eaux. Dès le début de la mandature, j’ai réuni l’ensemble des industriels, le Grand Port maritime de Bordeaux, – qui est également en train de bâtir un plan stratégique pour faire de ce port un port exemplaire et pionnier sur les questions environnementales -, et nous avons réfléchi à comment faire pour avancer tous ensemble. Nous avons alors établi un certain nombre de règles et d’actions.

En début de mandat, nous avons obtenu de l’Afnor la certification responsabilité sociale des collectivités (RSC) niveau confirmé ; Bassens est la première commune de France de moins de 10 000 habitants à avoir obtenu ce niveau de certification. Nous essayons de décloisonner les enjeux et d’entraîner tous les acteurs dans cette dynamique : acteurs économiques, acteurs publics, associations, etc. Nous essayons d’être exemplaires.

The Good : Comment parvenez-vous à faire avancer, ensemble, des acteurs aussi différents ?

Alexandre Rubio : Nous avons fondé une association, Bees-ZIP (Bordeaux énergies eau environnement et synergies en zones industrielles et portuaires), dans laquelle on retrouve le Grand Port Maritime de Bordeaux, les industriels implantés sur notre territoire, ainsi que la métropole de Bordeaux. Nous avons décidé de travailler tous ensemble en étant ambitieux, audacieux et exemplaires sur les questions environnementales. Ensemble, nous avons répondu à un appel à projets de l’Ademe qui s’appelle « ZIBAC – Zone industrielle bas carbone » dont nous avons été lauréat. Le projet : « A horizon 2030, diminuer de moitié nos émissions de gaz à effet de serre », auquel j’ajoute un autre objectif qui est de multiplier par deux l’activité, car nous avons besoin de créer de l’activité et de l’emploi !  La zone industrialo-portuaire représente aujourd’hui 8000 emplois et des ressources qui nous permettent de porter des services publics pour nos habitants.

Les entreprises avancent sur les enjeux RSE, mais pas toujours de façon coordonnée. L’enjeu est qu’elles le fassent ensemble, en créant des synergies entre elles pour le bien-être de la planète et pour conforter notre tissu industriel. Nous les accompagnons pour qu’elles accélèrent dans leur transition et qu’elles soient extrêmement vertueuses. Pour qu’ensemble, nous diminuions les gaz à effet de serre, préservions la ressource et que nous imaginions le monde de demain.

The Good : Vous avez, je crois, fortement misé sur les énergies durables et responsables ?

Alexandre Rubio: Nous avons établi toute une série d’actions pour produire nous-même l’énergie durable et responsable dont notre territoire a besoin. Nous avons couvert un parking de six hectares de panneaux photovoltaïques il y a une dizaine d’années, qui fait que nous sommes autosuffisants en électricité.

Nous installons actuellement un méthaniseur, qui va produire du gaz vert, à partir de biodéchets issus du territoire (tous les biodéchets de nos cantines et les biodéchets issus de l’activité du port), pour alimenter les réseaux de gaz de notre territoire. L’installation sera mise en service à l’automne. C’est un projet que nous portons en lien avec le Grand Port. Nous allons produire autant de gaz qu’en consomment les habitants de Bassens et nous allons pouvoir alimenter les camions. Une station de gaz va ouvrir à l’automne. En parallèle, nous accompagnons les acteurs économiques qui roulent au gasoil sur un passage de leurs flottes au biométhane ou, demain, à l’hydrogène

Cette installation a coûté 25 millions d’euros, financée par l’Ademe, le ministère de la Transition énergétique, la Région, des fonds privés et Bordeaux Métropole. Demain, tout le gaz et l’électricité consommés par nos habitants sera produit de manière renouvelable et durable, directement sur la commune.

The Good : Quels sont les industriels qui travaillent sur votre territoire ? Leur activité est-elle compatible avec la démarche engagée de la collectivité ?

Alexandre Rubio : Le site industriels héberge des gros acteurs à dimension mondiale qui travaillent sur les technologies durables de demain tels Michelin, qui est en train d’inventer le pneumatique de demain, issu de matières naturelles et biosourcées, ou Lesieur, qui fait notamment des bio-carburants. Nous avons des acteurs qui investissent beaucoup en recherche et en innovation, qui s’engagent sur la sobriété en préservant la ressource mais essaient aussi d’inventer l’économie de demain. Beaucoup d’acteurs travaillent, et depuis fort longtemps, sur l’économie circulaire mais aussi solidaire et sociale.

Bassens est engagé dans l’éco-circularité. Nous abritons une plateforme de déconstruction de wagons de la SNCF de Derichebourg et de l’électroménager (frigo et chaudières) qui valorise, chaque année, 80 000 tonnes de ferraille qui réintègrent les nouveaux cycles de fabrication de l’acier. Nous avons aussi, sur le port, des infrastructures pour déconstruire les navires de la Marine nationale et les dépolluer. Actuellement, elles en déconstruisent huit, pour valoriser 25 000 tonnes de ferraille. Cette activité crée de l’emploi, notamment dans l’ESS.

The Good : Une grosse partie de votre territoire est couverte par des industriels… Or, qui dit industriels, dit risque industriel. Comment protégez-vous la population ?

Alexandre Rubio : Au niveau de la métropole, nous avons lancé un plan de résilience qui vise à adapter l’ensemble de nos politiques au réchauffement climatique. Dans ce cadre, nous travaillons en lien avec les industriels pour adapter nos process industriels aux vagues de chaleur successives. Toutes ces usines ont été créées dans les années 60 et on n’était pas confrontés à cette chaleur. Aujourd’hui, quand il fait 50 degrés, il faut adapter les process.

Nous sensibilisons les industriels à ce qui se passe aujourd’hui. Mais ils le vivent ! Ils le voient bien. ; nous leur mettons la pression pour qu’ils s’adaptent et vite, car il n’y a rien de pire que de multiplier les accidents industriels en été. C’est essentiel pour travailler l’acceptabilité des habitants. Le minimum est de les protéger. De pouvoir mobiliser les moyens, lorsqu’il y a un incident.

Nous avons bâti des plans communaux de sauvegarde et mis en place, avec la métropole, un plan intercommunal de sauvegarde et une réserve citoyenne de métropolitains – ils sont 160 bénévoles – qui peuvent être mobilisés pour accompagner les forces de secours et de sécurité en cas de souci, comme lors d’une tempête ou même d’un accident industriel. L’idée est de miser sur le collectif ; de maintenir un dialogue constant et constructif entre les différents acteurs : les pouvoirs publics, les élus, les collectivités et les acteurs industriels.

Les industriels sont hyper constructifs. Ils sont contents que nous considérions que l’industrie est d’abord une ressource, une richesse pour notre territoire et pas uniquement une contrainte …. Nous le leur avons dit : nous sommes attachés à eux mais nous sommes hyper-exigeants sur les questions de sécurité. Ce sont deux sujets sur lesquels nous ne transigeons pas : la question environnementale et la sécurité. Nous pouvons accompagner les projets, y compris politiquement, pour trouver les voies de l’acceptabilité, à condition qu’on soit ambitieux sur la question environnementale. Moi, en tant qu’élu local, je suis un facilitateur exigeant.

The Good : Travaillez-vous avec les armateurs pour réduite la pollution générée par les bateaux ?

Alexandre Rubio : Nous travaillons bien évidemment avec les armateurs. Ils sont engagés dans une dynamique pour réduire l’impact environnemental du transport maritime. Nous avons, par exemple, un cargo vélique, le Canopée du groupe Ariane, qui accoste tous les 15 jours chez nous pour récupérer du matériel pour la zone de lancement en Guyane. Il représente le fret maritime que l’on souhaite et que l’on essaie d’accompagner. Nous facilitons les conditions de leurs escales.

S’il est vrai que les bateaux polluent, le transport de marchandise par bateau est néanmoins plus vertueux que le transport par la route. A Bassens, le trafic maritime nous permet d’éviter 380 000 camions chaque année sur les routes pour avoir l’équivalent de matière transportée afin de répondre à nos besoins. Ramené à la tonne transportée, le transport maritime est très supérieur à ce qu’il est possible de faire avec un camion, qui roule au diesel…

Nous avons aussi travaillé sur l’électrification des quais du port pour que les bateaux, quand ils sont à quai, puissent couper leurs moteurs et être néanmoins alimentés en énergie.

The Good : Industrie et biodiversité peuvent-ils faire bon ménage ?

Alexandre Rubio : Tous les sites industriels sont noyés dans la végétation. Nous essayons de démontrer que sur un même territoire, on peut faire du développement industriel et développement de la biodiversité. Nous avons, par exemple, posé des nichoirs de faucons pèlerins, qui sont très rares, sur les silos de nos céréaliers. Sur ces espaces où transitent les camions, nous sommes en train de créer des pistes cyclables pour que les salariés des industriels du site puissent venir à vélo au travail en toute sécurité, et pour envisager une autre logistique du dernier kilomètre pour livrer la métropole.

Nous sommes en train de requalifier les espaces publics pour planter de la végétation pour avoir des espaces publiques à la hauteur de nos acteurs économiques. C’est aussi une question d’image. Les industriels se sont engagés à entretenir leurs parcelles. Un site industriel n’a pas forcément vocation à être tout moche ! L’insertion paysagère des sites est une obligation faite à nos industriels pour donner une image du territoire qui est valorisante pour nos habitants qui sont attachés à l’origine industrielle de la commune.

A Bassens, l’industrie a d’abord été développée par les Américains qui ont débarqué en Europe à la fin de la Première Guerre Mondiale. « Ils ont commencé à installer à Bassens et à Ambès, des arrières bases- infrastructures portuaires et industrielles, pour alimenter le front qui nous a permis gagner la guerre. Les premières notes de jazz jouées en Europe l’ont été sur le port de Bassens, quand les militaires américains sont arrivés à Bassens, dont les habitants ont été les premiers européens à boire du coca-cola.

Allez plus loin avec The Good

The Good Newsletter

LES ABONNEMENTS THE GOOD

LES ÉVÉNEMENTS THE GOOD