À Nantes, 22 potagers solidaires, cultivés par les jardiniers municipaux, les bénéficiaires de l’aide alimentaire et des bénévoles, produisent chaque année 20 tonnes de fruits et légumes redistribués à plus de 1 200 foyers précaires. Né pendant la crise Covid, ce projet a grandi pour devenir un levier majeur contre la précarité alimentaire. Comme le raconte Delphine Bonamy, adjointe au maire en charge de la nature en ville, cette initiative est devenue un véritable projet citoyen, mêlant solidarité, sensibilisation à l’alimentation durable, biodiversité et transmission, notamment grâce aux animations dans les quartiers et auprès des écoles. Explications.
The Good : Sur quelle surface repose ce jardinage urbain, quelle est l’ampleur de la récolte… et à qui profite cette production ?
Delphine Bonamy : Nous avons 5000 m2 de terres cultivées. Nous récoltons une vingtaine de tonnes de fruits et de légumes par an qui profitent à 1200 foyers bénéficiaires.
Il existe 22 potagers dans la ville. La moitié est cultivée par les jardiniers municipaux et l’autre, par des bénéficiaires de nos paniers solidaires ainsi que des bénévoles, encadrés par des associations de quartier et d’agriculture urbaine (comme Ecos, La Sauge, La Maison des Agricultures et de l’Alimentation Durables, la Bricolotech, Bio-T-Full, l’Accoord ).
Le choix des bénéficiaires se fait en lien les équipes de quartier et avec le CCAS de la ville de Nantes qui organise la distribution.
The Good : Comment est né ce projet ?
Delphine Bonamy : Le projet est né durant la période Covid. Les agents du service des espaces verts ont eu l’idée de planter des légumes à la place des fleurs dans différents espaces verts de la ville pour approvisionner les plus précaires en paniers solidaires. A cette époque, les associations d’aide alimentaire (La Banque alimentaire, les restos du coeur, le secours populaire, La Croix Rouge…) avaient beaucoup de difficultés à accéder à des produits frais ; à avoir des fruits et des légumes. Une problématique qui est, malheureusement, toujours d’actualité.
L’idée rejoignait un certain nombre de politiques publiques que la municipalité s’employait à développer, notamment sur le pan solidarité. Nous avons donc décidé de développer et de structurer ce projet.
The Good : Du projet solidaire, vous avez fait un projet citoyen…
Delphine Bonamy : Sur la première année, les jardiniers de la Ville ont produit un certain nombre de légumes qui ont été distribués à des personnes bénéficiant de l’aide alimentaire de la ville de Nantes. Ils travaillaient alors sur une quarantaine de sites différents, dont une grande parcelle située sur le site de la pépinière municipale de la Ville. C’était très morcelé. Sur la deuxième année, nous avons essayé de mieux organiser les choses et de rendre le projet plus participatif.
Nous avons fait des potagers plus conséquents en taille, mieux identifiés avec une signalétique particulière (panneaux d’informations sur trépieds en bambous etc.) et les avons répartis par quartiers, à raison de deux potagers par quartier. Le plus gros reste cependant celui de la pépinière municipale avec 2500 m², soit la moitié de l’ensemble des surfaces cultivées.
Sur la deuxième année, nous avons organisé une participation citoyenne. Les bénéficiaires ainsi qu’un certain nombre de bénévoles sont venus grossir les rangs des jardiniers
The Good : Que cultivez-vous sur ces parcelles ? Et sur quel mode ?
Delphine Bonamy : Nous y cultivons un peu de tout mais nous travaillons avec les bénéficiaires pour revoir au fur et à mesure la palette des fruits et légumes cultivés. Au début, nous avons produit un peu de tout ce qui pousse sous nos latitudes ; nous sommes un territoire de maraîchage, mais certains produits étaient moins appréciés ; les gens ne savaient pas comment les cuisiner. Nous avons donc resserré la production.
Nous avons un peu adapté les plans potagers mais aussi mené des opérations de sensibilisation pour amener les bénéficiaires à consommer des produits moins habituels. Nous avons notamment développé la culture de légumineuses, comme les fèves ou les haricots. Nous cultivons aussi des légumes d’été comme les courgettes, les aubergines, les tomates et les poivrons, qui sont très prisés. Selon les retours des bénéficiaires ou la volonté des jardiniers de proposer des potagers esthétiques et pédagogiques, des variétés plus atypiques sont cultivées : des aubergines blanches, des mini poivrons et mini concombre (cucamelon), voire quelques variétés exotiques (fournies par notre potager tropical) que certains bénéficiaires ont l’habitude de cuisiner, notamment la Christophine, courante aux Antilles et sur le continent africain… De multiples variétés anciennes sont aussi proposées, notamment des tomates fournies par la Société des horticulteurs amateurs de Nantes et région (Shaner).
Nous produisons en «bio». La ville est en «zéro phyto» depuis 2002 et les associations encadrantes travaillent toutes en agriculture biologique.
The Good : La métropole de Nantes incite les jardiniers à mettre en place des micro pratiques pour créer des refuges pour animaux. Est-ce aussi le cas dans ces potagers de la Ville de Nantes ?
Delphine Bonamy : Nous proposons chaque année des formations de jardinage au naturel pour les jardiniers des jardins familiaux et partagés. Et certains jardins collectifs font de la pédagogie et des sciences participatives sur la biodiversité dans les jardins cultivés.
Les jardiniers impliqués dans le projet sont sensibilisés à la préservation de l’environnement. Ainsi certains laissent des passages pour les hérissons dans les clôtures des ganivelles, d’autres créent des abris pour les abeilles sauvages ou laissent des tournesols géants sur site pour que les oiseaux se régalent en fin de saison. Ils sont également accompagnés, lors de temps collectifs, sur des formations (lutte biologique intégrée et reconnaissances des insectes auxiliaires et ravageurs, préservation des sols, visites de micro fermes maraîchères bio …)
The Good : Si je comprends bien, chacun a évolué. La ville, sur les produits cultivés et les bénéficiaires sur les produits consommés ?
Delphine Bonamy : C’est tout à fait cela. Nous «profitons» de cette opération pour mener un travail de sensibilisation sur l’équilibre alimentaire, la saisonnalité des aliments, etc., notamment par le biais de moments festifs et des repas partagés. Nous avons, par exemple, travaillé sur des recettes de cuisine comme la crème dessert à la betterave, chocolat et fleur d’oranger ou le clafoutis de courgettes au chèvre, créées lors d’animations. Deux livrets comportant des recettes ainsi que conseils relatifs à l’équilibre alimentaires et le jardinage au potager ont été édités :
https://nte-prod-drupalfiles.oos.cloudgouv-eu-west-1.outscale.com/s3fs-public/documents/2025-04/du-potager-a-assiette-recettes-paysages-nourriciers-Nantes.pdf
https://metropole.nantes.fr/actualites/cuisine-et-jardin-un-guide-gratuit-qui-donne-envie-de-sortir-les-binettes-et-les-fourchettes
Outre le travail sur la cuisine et la nutrition, ces moments festifs et repas partagés sont autant d’espaces utiles pour transmettre des informations sur des questions de santé, les droits des personnes, etc.
Nous avons également développé des animations pour les écoles qui vont visiter ces potagers. Les enfants viennent visiter et on leur parle agriculture et alimentation.
The Good : Comment financez-vous ce jardinage urbain ? Est-ce qu’il est plus coûteux d’acheter des fleurs ou des légumes ?
Delphine Bonamy : A l’origine, nous avons bénéficié de subventions de l’Etat dans le cadre de France 2030. Nous avions internalisé une personne en 2024, mais ces aides n’existent plus. A présent, c’est une compétence internalisée. Les six associations sont subventionnées par la Ville de Nantes à hauteur de près de 10 0000 euros chacune.
La Ville fournit les 70 000 plants, produits dans les serres municipales qui sont replantés, car nous essayons d’être autonomes
The Good : Né en période de Covid, ce jardinage urbain est-il néanmoins amené à perdurer dans le temps ?
Delphine Bonamy : Il existe une vraie précarité alimentaire et il n’est pas question d’arrêter. Cette aide est très appréciée par les Nantais, mais aussi par les acteurs de l’aide alimentaire qui ont des difficultés à accéder au gisement des produits frais. Une partie de notre production leur est réservée depuis deux ans. Malheureusement, le besoin perdure … et augmente.