Mathieu Ménégaux, BrightHouse (BCG) : “la transformation doit conjuguer des efforts volontaristes des entreprises et d’incitation par l’évolution du cadre légal et réglementaire”

Si chaque initiative entrepreneuriale responsable compte, les entreprises du CAC40 pèsent lourd dans la balance d’un écosystème économique et industriel en mal de Good. Ainsi, sonder leurs attitudes et influences est fondamental. En matière d’engagement sociétal et de performance financière, BrightHouse nous éclaire. Pour mesurer le degré d’engagement effectif des entreprises du CAC40 à l’égard de leurs parties prenantes et le lien avec leur performance, l’entité du BCG dédiée à la Raison d’Être des entreprises dévoile son premier rapport d’Indice de l’engagement sociétal. Ce qu’on en retient :  + d’engagement est compatible avec + de rendements. Rencontre avec Mathieu Ménégaux, Managing Director de BrightHouse. 

Filiale du Boston Consulting Group (BCG), Brighthouse est le premier cabinet de conseil mêlant stratèges et créatifs à accompagner des entreprises comme Procter & Gamble, McDonald’s, KPMG et American Express sur la définition et l’ancrage de leur Raison d’Être dans leur stratégie. A mesure que les mutations sociétales s’accélèrent, que les attentes citoyennes s’accentuent et que la planète appelle au secours, les outils de mesure doivent suivre. Dans cette dynamique, l’entité du BCG dédiée à la Raison d’Être des entreprises dévoile la première édition de son Indice de l’engagement sociétal. En ligne de mire : les entreprises du CAC40.

Mathieu Ménégaux, Managing Director de BrightHouse, nous explique en quoi la Raison d’Être est en facteur de résilience en 2020, et démontre avec justesse qu’engagement sociétal et performance financière sont conciliables pour un progrès durable.

The Good : Au regard de la première édition de cet Indice de l’Engagement Sociétal, quels sont les principaux enseignements que vous tirez ? 

Mathieu Ménégaux : Nous avons conçu cet Indice pour évaluer la situation des entreprises du CAC40 en matière d’engagement sociétal, et nous intéresser à l’impact de cet engagement en termes de performance financière. Nous nous sommes attachés à construire une méthodologie robuste, reposant sur la science et sur des données factuelles. Cet Indice reflète la conviction que nous portons chez BrightHouse : une vision intégrée de l’engagement sociétal, qui évalue l’interaction de l’entreprise avec toutes ses parties prenantes (clients, collaborateurs, partenaires et société au sens large). Cette première édition montre que les entreprises du CAC40 sont mobilisées mais qu’il reste une marge de progression, notamment vis-à-vis des employés et des partenaires. Les groupes ont en moyenne déployé plus d’énergie vis-à-vis des clients et de la société. Nous allons suivre et mesurer d’une année sur l’autre les progrès réalisés. 

The Good : Il semblerait que cette analyse mette aussi en lumière une corrélation entre le niveau d’engagement sociétal et la performance financière d’une entreprise. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

M.M. : Pour permettre aux entreprises d’accélérer en matière d’engagement sociétal, il est crucial de faire le lien avec la performance financière. C’est pourquoi nous avons creusé la question : les entreprises les plus engagées sont-elles plus ou moins performantes ? Nous avons mis en lumière deux indications scientifiques qui montrent qu’engagement sociétal et performance financière vont de pair. Tout d’abord, l’Indice est un facteur significatif d’explication du TSR (total shareholder return) à cinq ans. Par ailleurs, notre modèle statistique démontre que plus le score d’une entreprise progresse dans l’Indice, plus son TSR sur un, cinq ou dix ans progresse également. Cette corrélation constitue un premier fondement de l’analyse que nous allons approfondir pour montrer aux entreprises que l’on peut conjuguer sens et performance. 

The Good :  À en croire les résultats de votre indice ainsi que ceux de l’enquête annuelle EcoAct sur les performances des entreprises du CAC40 en matière de reporting climat, il semblerait que les choses changent. Vous parlez néanmoins de marge de progression. Que reste-t-il concrètement à faire pour parler de réelle transformation ?

M.M. : Effectivement les entreprises progressent, mais pas assez vite au regard de l’urgence des enjeux sociaux et environnementaux qui pressent pour faire advenir un nouveau modèle d’entreprise, un capitalisme plus responsable. En ce sens, la Raison d’Être est un levier de transformation puissant car elle permet de faire converger l’ensemble des efforts de l’entreprise dans une seule direction et de s’assurer de la cohérence des décisions stratégiques. Pour accélérer cette transformation, il sera bien sûr nécessaire de continuer à faire évoluer les outils de reporting et de mesure de la performance pour qu’ils reflètent l’intégration progressive des enjeux sociétaux au core business. Sur le reporting climat en particulier, les entreprises auront un impact maximal sur la réduction de gaz à effet de serre globale lorsque leurs indicateurs financiers reflèteront le coût réel sur l’économie de leurs propres émissions, lorsqu’elles emploieront leur influence auprès de leurs parties prenantes pour accélérer la réduction de leurs émissions, et quand leurs business models seront tellement transformés qu’ils intègreront la dimension de risque climat au même titre que tout autre risque financier. C’était l’esprit de l’article 173 de la loi sur la transition énergétique visant l’intégration des critères ESG dans les opérations des investisseurs. On voit bien que l’accélération de la transformation doit conjuguer des efforts volontaristes des entreprises pour se transformer en profondeur et d’incitation par l’évolution du cadre légal et réglementaire. 

The Good : L’objectif tenu par 43% des entreprises du CAC 40 d’arriver à zéro émission nette pour 2050 est-il selon vous réaliste ? 

M.M. : C’est surtout un objectif nécessaire : le GIEC nous indique clairement que nous ne pouvons pas rester sous le seuil de 1.5 degré C sans des objectifs de réduction d’émissions à ce niveau d’ambition. Un objectif d’émissions nettes signifie l’union de deux objectifs : un objectif de réduction d’émission et un objectif d’augmentation de la capture du carbone existant dans l’atmosphère. On obtient un résultat « net » lorsque les deux objectifs s’équilibrent. En ce qui concerne le premier objectif, nous sommes aujourd’hui déjà en possession de technologies suffisamment avancées : nouvelles sources d’énergie, technologies de stockage, innovation en manufacture, transformation de la mobilité, etc. En revanche, pour le deuxième objectif, les technologies de capture du carbone restent encore peu développées. Dépasser cette barrière technologique implique que les entreprises se projettent dans une vision à long terme, investissent et se mobilisent au sein d’un écosystème d’innovation rassemblant des investisseurs, les pouvoirs publics, la communauté scientifique. 

The Good : Parmi les bons élèves, qui se démarque, et comment ? 

M.M. : Notre classement place quatre entreprises à actionnariat familial fort et stable dans les cinq premières places (Kering, Sodexo, Pernod-Ricard et l’Oréal). Je crois que ce n’est pas le fait du hasard, et que la prise en compte du long terme dans toutes les décisions conduit à un respect plus important de toutes ses parties prenantes. Et à une performance financière améliorée, également ! Quant à Danone, qui complète notre top 5, c’est la seule entreprise du CAC à avoir obtenu le statut de société à mission. 

The Good : Pour en revenir à la Raison d’Être, en quoi est-elle un facteur de résilience dans cette période marquée par l’incertitude ? 


M.M. : La crise du Covid-19 a mis en lumière la proactivité et l’agilité des entreprises pour se mobiliser et contribuer à « l’effort de crise » – que l’on songe à Air Liquide qui s’est associé à PSA, Valeo et SchneiderElectric pour produire 10 000 respirateurs artificiels ou à LVMH qui a adapté sa chaîne de parfums pour produire du gel hydro alcoolique. Cette mobilisation est venue démontrer dans les faits ce que la Loi Pacte avait inscrit dans le cadre légal : les entreprises jouent un rôle crucial non seulement dans la société mais aussi pour la société. Les enjeux sociétaux et environnementaux du 21ème siècle ne pourront être relevés qu’avec le concours d’acteurs privés engagés qui placent l’intérêt des parties prenantes au cœur de leur activité. C’est tout l’enjeu de la Raison d’Être : exprimer la contribution positive d’une entreprise au monde pour guider et inspirer toutes ses actions. Dans ce contexte d’incertitude, la Raison d’être est un facteur d’alignement et fixe un cap pérenne pour les entreprises qui leur permet d’articuler stabilité et agilité dans leurs prises de décision.

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