Une croissance spectaculaire… mais fragile. En quelques années, l’investissement à impact s’est imposé comme un levier central de la finance durable. Selon le Global Impact Investing Network (GIIN), il représentait déjà plus de 1,5 billion de dollars en 2024, porté par la demande croissante des jeunes générations désireuses d’aligner leurs valeurs avec leurs placements. Les grandes institutions financières rivalisent désormais pour proposer des produits alliant rentabilité et utilité sociale.
Mais derrière cet enthousiasme, une question cruciale reste trop souvent éludée : ces investissements tiennent-ils réellement leurs promesses ?
Le risque d’impact, parent pauvre du secteur
L’étude publiée dans le Journal of Business Ethics, codirigée par Lauren Kaufmann (Darden School of Business) et Helet Botha (Université du Michigan-Dearborn), révèle que les investisseurs à impact se préoccupent bien plus des risques financiers que des risques liés à l’impact social ou environnemental.
Autrement dit, de nombreux projets sont considérés comme « responsables » sur la base de récits convaincants ou d’intentions affichées, sans qu’une vérification rigoureuse ne soit conduite. Les chercheurs alertent : une initiative en santé publique mal calibrée peut ignorer les besoins locaux ; un projet d’énergie renouvelable peut provoquer des déplacements forcés de populations.
« Avoir de bonnes intentions ne suffit pas », insiste Lauren Kaufmann. « Les investisseurs doivent analyser avec rigueur les résultats qu’ils prétendent atteindre. »
L’illusion du “gagnant-gagnant”
L’étude repose sur 124 entretiens avec des investisseurs à impact et une expérience impliquant 435 participants. Les chercheurs pointent un biais majeur : la croyance que performance financière et impact positif vont nécessairement de pair.
Plus de la moitié des investisseurs interrogés (52 %) estiment qu’une entreprise rentable et dotée d’une mission sociale génère forcément un impact positif important. Une idée reçue dangereuse : « Lorsqu’un investisseur pense que le modèle économique suffit à garantir des résultats positifs, il est moins enclin à poser les questions difficiles », explique Kaufmann.
Un manque d’exigence dans le suivi
La recherche met aussi en lumière des pratiques trop superficielles :
- Les risques sont généralement évalués uniquement en amont, via des filtres ESG ou des listes d’exclusion.
- Une fois le premier cap franchi, l’entreprise financée est perçue comme peu risquée, sans suivi approfondi.
- Les outils existants (IRIS+ du GIIN, cadre Impact Frontiers) sont encore sous-utilisés ou appliqués de manière partielle.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les enquêtes du GIIN, seuls 1 à 3 % des investisseurs reconnaissent ne pas avoir atteint leurs objectifs d’impact. Un résultat peu crédible au regard de la complexité des défis traités (santé, éducation, climat).
L’expérience conduite par les chercheurs montre que lorsqu’on explique aux investisseurs que l’impact ne découle pas automatiquement du modèle économique, mais qu’il nécessite un suivi constant, leur perception change. Ils prennent alors les risques sociaux et environnementaux aussi au sérieux que les risques financiers.
Un enjeu stratégique pour les décennies à venir
Près de 84 000 milliards de dollars devraient être transmis des baby-boomers aux jeunes générations d’ici 2045. Cette manne alimente la demande pour des produits financiers alignés avec les valeurs sociales et environnementales. Mais si le secteur ne renforce pas ses exigences de redevabilité, il risque de perdre sa crédibilité.
Les chercheurs appellent à une nouvelle rigueur :
- Mesurer l’impact dans la durée plutôt que se contenter de déclarations initiales.
- Dialoguer avec les communautés concernées pour évaluer les résultats réels.
- Reconnaître et partager les échecs, condition indispensable pour progresser.
« Suivre l’impact demande autant de travail que suivre la performance financière, et parfois davantage », conclut Kaufmann. « C’est une exigence de sérieux, surtout lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des domaines sensibles. »