“L’entreprise fraternelle, levier du monde complexe”, Marion Darrieutort et Julien Brézun (Entreprises & Progrès)

Guerre en Ukraine, menaces nucléaires, crise migratoire, guerre au Proche-Orient, dérèglement climatique… Chaque jour le monde apporte son lot d’inquiétudes, d’incertitudes et de désespoir. Chaque jour, les liens humains semblent se distendre un peu plus. Chaque jour, chacun se sent un peu plus seul face à l’immensité des dangers et des défis. Faut-il s’en accommoder ? Certainement pas. Non pas que les entreprises et leurs dirigeants possèdent la martingale pour résoudre des problèmes complexes et multifactoriels. En revanche, elles disposent d’un atout majeur : la capacité de relier les gens ; la force de donner un sens plus profond encore à l’un des mots de la triade républicaine, celui de fraternité. Et de poser la question : et si l’entreprise fraternelle pouvait retisser les liens de ce que d’aucuns comme Jérôme Fourquet nomment « l’Archipel Français » ? 

En d’autres termes, l’entreprise si elle devient fraternelle peut-elle constituer l’un des leviers d’une société plus égalitaire et plus altruiste ? Question cruciale. Question essentielle tant les Français, selon une récente étude Opinion Way, accordent une confiance importante dans les entreprises de leur territoire. Façon, peut-être, pour eux de souligner l’importance des liens qu’ils ont tissés avec ces dites entreprises.

Penser une entreprise fraternelle, donc. Fraternelle, osons ce terme. Car la fraternité n’est pas seulement un lien de sang, mais un pacte d’entraide et de soutien mutuel. Une entreprise fraternelle est un lieu où l’on se soucie autant des réussites individuelles que de l’harmonie et du progrès de l’ensemble, transformant ainsi le lieu de travail en une communauté unie par des objectifs communs et une solidarité inébranlable. Utopique ? Peut-être. Cela trace surtout un horizon. Comme une étoile polaire qui montre le Nord.  Surtout, cette « entreprise fraternelle » n’est pas seulement un concept. Elle s’incarne dans trois dimensions. Une dimension d’ouverture, une dimension altruiste et enfin, forcément, une dimension politique.

Ouverture d’abord car si l’on veut créer une relation différente tant avec les publics qu’avec les parties prenantes, ou plus largement avec les Français, il appartient aux entreprises d’ouvrir leurs portes. Non pas de façon anarchique et désorganisée, mais en commençant, par exemple par une gouvernance ouverte, où le pouvoir décisionnel est partagé, reflétant ainsi une véritable démocratie organisationnelle. Des exemples tels que les comités de gouvernance composés de membres de différents échelons de l’entreprise ainsi que de membres extérieurs qualifiés, ou encore les pratiques de codécision, illustrent cette ouverture. Cela permet non seulement d’enrichir le processus décisionnel par une diversité de perspectives mais aussi de renforcer l’engagement des collaborateurs, qui se voient confier une part active dans le destin de leur entreprise.

Qui dit ouverture dit aussi altruisme. Altruisme dans le sens de pas vers l’autre que l’entreprise – en qui la confiance est grande – peut faire. Au-delà des bénéfices et des objectifs de croissance, une entreprise se doit de penser au bien-être de ses collaborateurs et de leur entourage. Le mécénat de compétences, où les collaborateurs sont encouragés à offrir leur expertise à des projets sociaux ou associatifs, est un excellent moyen de matérialiser cet altruisme. De même, l’extension des avantages tels que la mutuelle et la formation professionnelle à la famille des collaborateurs témoigne d’une vision de l’entreprise comme une communauté élargie, où chacun est soutenu et valorisé.

Enfin ce nouveau type d’entreprise, au-delà d’une responsabilité sociale et environnementale a besoin de revêtir une dimension politique plus importante. Non pas que l’entreprise va s’immiscer dans les débats quotidiens et de politique politicienne, mais plutôt qu’elle va, dans un contexte où les frontières entre le politique, le social et l’économique s’estompent, remplir son rôle d’acteur politique. Cela signifie qu’elle ne se contentera plus de réagir aux évolutions législatives ou aux pressions sociétales mais prendra l’initiative d’aborder de front les sujets politiques, de proposer des solutions innovantes et de s’engager pour le bien commun. Que ce soit par le biais de politiques internes en faveur de la diversité, de la réduction de l’empreinte écologique ou par un dialogue constructif avec les parties prenantes sur des enjeux de société, l’entreprise affirme sa volonté d’être une force de proposition et d’action dans l’espace public.

Ouverture, altruisme, et politique, voilà quels pourraient être les piliers d’une entreprise du XXIe siècle dans laquelle les Français, mais plus largement les Européens ont confiance pour créer du lien.

Marion Darrieutort, présidente et Julien Brézun, vice-président d’Entreprises et Progrès

Emilie Kovacs
Emilie Kovacs
Rédactrice en chef de The Good, est tombée dans la marmite du développement durable il y a une quinzaine d'année. Cette journaliste d'origine hongroise aime mettre en lumière les acteurs et actions à impact, celles et ceux qui font plutôt que celles et ceux qui disent, les solutions plutôt que les critiques. Eternelle optimiste, elle est convaincue que l'être humain pourra se sortir du pétrin écologique dans lequel il s'est fourré. #Team beurre demi-sel, coquillages et crustacés !

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