09/09/2025

Temps de lecture : 6 min

Landes : l’économie circulaire de l’eau prend forme avec Reuse

Face aux sécheresses à répétition, le Sud-Ouest innove. Avec Reuse, industriels, agriculteurs et collectivités inventent un modèle collectif de gestion de l’eau, pensé pour protéger la ressource et soutenir les filières locales.

Le dispositif « Reuse » offre un accompagnement aux entreprises et collectivités qui veulent s’investir dans la circularité de l’eau. Il comprend une aide à la conception et à l’adoption de scénarii ainsi que des audits gratuits et le financement à 50% des pré-études de faisabilité, précise Benjamin Lobet, en charge du développement du projet Reuse.

The Good : Qu’est-ce que la stratégie circulaire de l’eau ? Pouvez-vous nous donner un exemple concret avant de détailler le dispositif ?

Benjamin Lobet : C’est la règle des trois « R » ; c’est-à-dire soit réduire, soit recycler, soit réutiliser l’eau.

Pour l’exemple d’une commune située au nord de notre département, sur la côte Atlantique. La synergie a été faite entre la station d’épuration de la collectivité qui propose à un industriel important de la trituration du bois de Pin Maritime de récupérer 100 000 m³ d’effluents traités par la station d’épuration. Ainsi, l’industriel, au lieu de prélever l’eau nécessaire à son activité, dans le milieu naturel, par forages ou dans des cours d’eau, va bénéficier de l’apport de ces 100 000 m3 d’eau et l’intégrer à ses process.

The Good : Quelle est la contribution du dispositif « Reuse » que vous pilotez ?

Benjamin Lobet : C’est un modèle de développement collectif, c’est-à-dire que nous allons travailler pour plusieurs entreprises en même temps. L’objectif étant d’avoir un impact sur une filière et donc, au final, sur un territoire. Nous sommes positionnés sur les sujets à forts enjeux pour l’industrie agro-alimentaire et pour l’agriculture de notre territoire ; sujets parmi lesquels figure la ressource en eau. Notre objectif est d’embarquer, via nos industriels, des territoires sur des actions qui viseraient à réduire, à recycler ou à revaloriser des eaux déjà utilisées.

Notre dispositif a pour vocation de mettre tous les acteurs du territoire autour d’une table pour mettre les besoins en lien : les industriels ou collectivités qui doivent rejeter de l’eau et toutes les activités économiques situés à proximité qui seraient susceptibles de récupérer cette eau afin de la valoriser dans le cadre d’une autre activité.

The Good : Vous jouez donc les entremetteurs entre les acteurs économiques, qu’ils soient privés ou publics ?

Benjamin Lobet : Oui, car il est parfois difficile, pour les industriels ou les collectivités, d’avoir un lien avec toutes les activités économiques de proximité. Ils n’ont pas forcément la connaissance de tout ce qui se fait aux alentours. Notre rôle est d’établir une cartographie des activités et des gisements d’eau pour essayer de concevoir des scénarii.

Nous avons donc localisé toutes les nappes phréatiques et tous les cours d’eau du département des Landes, identifié ceux qui sont soumis à dépression du fait de l’activité agricole ou du fait de l’activité industrielle. Puis nous avons localisé tous les sites de nos actionnaires sur cette carte. Ce qui fait que, lorsqu’on s’intéresse à un site industriel, nous pouvons prendre notre outil cartographique, zoomer sur le site et avoir déjà une connaissance assez précise de la situation vis-à-vis de l’eau sur ce territoire spécifique.

The Good : Votre dispositif repose sur un partenariat public/ privé. Comment fonctionne donc « Reuse » ?

Benjamin Lobet : Le dispositif Reuse est né avec la technopole Agrolandes, dont l’objectif est de développer des nouveaux usages, des nouveaux modèles économiques, des nouvelles technologies au sein des filières agricoles et agro-industrielles du territoire. Et, parmi les sujets sur lesquels aujourd’hui il y a véritablement un enjeu pour le futur de ces filières, l’eau figure en première place.

La structure Agrolandes porte ce programme qui relève d’un partenariat public privé, sous la forme d’un Groupement d’intérêt public. La particularité de ce GIP est que 25 % de son capital est détenu par un groupement d’intérêt économique qui regroupe 34 entreprises positionnées sur les filières agricoles et les filières agro-industrielles. Ce groupement comprend deux des plus grosses coopératives du Sud-Ouest, des industriels importants de la chimie verte et de l’exploitation du pin maritime, ainsi que de multiples PME travaillant aussi bien sur des filières animales (canards, volailles, poissons) ou végétales (maïs, kiwi, raisin …). Le conseil départemental des Landes est l’actionnaire majoritaire de cette structure. Les autres actionnaires publics sont la chambre d’Agriculture, la chambre de Commerce, la chambre des Métiers et la Communautés de Communes Chalosse Tursan sur laquelle nous sommes implantés physiquement.

Ce programme est, à ma connaissance, unique en France. Et je tiens à préciser que les collectivités qui l’ont intégré, l’ont fait librement. Elles ont la volonté d’être en avance et de proposer un service nouveau à l’économie de leur territoire.

The Good : Est-ce que vous accompagnez les acteurs économiques dans la mise en place de leurs scénarii ?

Benjamin Lobet : Nous avons effectivement souhaité proposer un programme collectif à nos entreprises actionnaires qui vise à les faire monter en compétences et à les faire monter en gamme pour qu’elles puissent investir dans des scénarii de réutilisation de leurs eaux suivant la stratégie circulaire de l’eau.

Notre programme permet à l’entreprise de rentrer dans la démarche, c’est-à-dire qu’elle peut bénéficier d’un audit gratuit. Celui-ci va permettre d’analyser les process en cours, en termes de consommation et de traitement des eaux, et de comprendre quels sont les enjeux pour le futur de l’entreprise. Parce qu’aujourd’hui, si un site industriel souhaite augmenter sa production, il faut qu’il sache s’il peut augmenter sa consommation d’eau et considérer la quantité à traiter. L’audit permet à notre prestataire d’avoir une vision claire de l’état actuel des choses, le constat, mais aussi de commencer à identifier les scénarii qui pourraient correspondre aux besoins de l’entreprise. Sur la réduction du recyclage, mais surtout sur la partie revalorisation extérieure des effluents.

Cet audit est gratuit, financé par Agrolandes, par le conseil départemental des Landes, le conseil régional Nouvelle Aquitaine, et par l’Agence de de l’eau Adour-Garonne. Une fois l’audit réalisé, si un scénario proposé par le prestataire intéresse l’entreprise et qu’elle considère que c’est un scénario à creuser pour le futur de son activité, nous pouvons financer une pré-étude de faisabilité à hauteur de 50 %.

Une fois cette étude réalisée, il faut concevoir un projet technique qui permet, ensuite, d’enclencher un projet d’investissement. A ce niveau-là, l’entreprise va sortir du cadre du programme Agrolandes mais nous allons continuer à l’accompagner sur la concertation avec les services de l’État ainsi que sur de la négociation avec les financeurs publics qui pourraient l’aider à investir dans son projet.

The Good : Et dans l’expertise technique, j’imagine qu’il y a une étude de la pollution générée par l’activité et donc des effluents et d’éventuellement des traitements qui doivent y être déployés ?

Benjamin Lobet : La question de la réutilisation est soumise à la réglementation française et, avant d’être mis en place, les scénarii de réutilisation font l’objet d’une procédure de vérification et de validation stricte par les services de l’Etat.

Pour ce qui est de l’utilisateur final bénéficiant de la valorisation, il établit un cahier des charges précis spécifiant la qualité de l’eau qu’il souhaite avoir. Une convention est alors signée entre les différents acteurs.

Prenons de nouveau l’exemple de cette commune littorale du Nord du Département. Les 100 000m3 d’eau dont nous avons parlé doivent être transmis à une certaine température, nécessaire au process de l’industriel, et avoir une certaine composition. Surtout, il faut que les effluents ne contiennent pas certains éléments. Donc, à partir de ce cahier des charges de qualité d’eau, l’expertise technique va consister à mettre en face des solutions de traitement qui permettent d’atteindre ce niveau de qualité. Sur la collectivité de Mimizan, il y a un deuxième scénario à l’étude pour réutiliser les eaux de la piscine municipale afin d’irriguer les parcs municipaux de la ville.

The Good : En matière de circularité de l’eau, vous avez accompagné un projet exemplaire qui concerne une entreprise très…. landaise, n’est-ce pas ?

Benjamin Lobet : Oui en effet, il s’agit d’une entreprise de la filière du canard gras, filière importante de l’économie du territoire des Landes. C’est effectivement la plus avancée. Cette entreprise, qui produit donc principalement du foie gras, est à la fois un groupement d’éleveurs de canards et atelier d’abattage et de transformation. Elle est implantée sur un territoire très rural ; sur une commune qui compte moins de 400 habitants. Jusqu’à maintenant, le site est relié à la station d’épuration de la commune.

Dans le cadre du développement de son site et de sa pérennité sur la commune, l’entreprise souhaite se doter de sa propre station d’épuration, indépendante de celle de la commune. Dans les prochains mois, l’entreprise va investir dans la création d’une station d’épuration propre au site industriel. Ses effluents serviront à irriguer 140 hectares de culture de maïs situés derrière l’abattoir et l’usine de production. L’entreprise va donc proposer un service à ses éleveurs… puisque la plupart des agriculteurs qui produisent du maïs et qui bénéficieront de l’irrigation appartiennent au groupement d’éleveurs de l’industriel

L’usine va donc aider à produire le maïs qui va alimenter ses canards. C’est de la circularité, aussi bien au niveau de l’eau que de la biomasse agricole.

The Good : Plus globalement, pensez-vous que le sujet « préservation de l’eau » est en train de gagner du terrain auprès des acteurs économiques ?

Benjamin Lobet : Ce sujet de la ressource en eau va devenir de plus en plus important. Je pense que ces pratiques de recyclage, de réduction, de réutilisation et cette stratégie de l’économie circulaire de l’eau vont devenir de plus en plus prégnantes pour tous, tant dans le public que dans le privé, dans la mesure où il y a de la ressource prélevée et de la ressource à rendre au milieu.

Ce sujet s’est accentué suite aux étés 2022, 2023, et, tout récemment, cet été 2025, sur lesquels nous avons eu des épisodes caniculaires importants.

Allez plus loin avec The Good

The Good Newsletter

LES ABONNEMENTS THE GOOD

LES ÉVÉNEMENTS THE GOOD