Karine Viel (Directrice RSE de Monoprix) : « Passer d’une logique de volume à une logique de valeur, du vendre plus au servir mieux »

A première vue, la grande distribution est un des secteurs qui, par son caractère essentiel, est épargné par la tornade Covid-19. Est-ce vraiment le cas pour tous ? En rencontrant Karine Viel, Directrice RSE Monoprix et membre du C3D, nous nous sommes penchés sur les enjeux du Good spécifiques à ce secteur en temps de crise mondiale et refonte de l’imaginaire de consommation. Interview.

Avec une feuille de route RSE en place depuis 2012, Monoprix trace doucement mais sûrement son sillon dans le marché du Good. Mais ce n’est pas le tout d’avoir un Naturalia dans le portefeuille. Si les investissements comptent, c’est aussi les objectifs chiffrés, et atteints qui permettent de nous convaincre. Au menu pour 2020, 4 objectifs clés : 

• 10% du chiffre d’affaires à partir de produits biologiques, équitables, éco-labellisés 

• Diminuer de 20% les émissions de gaz à effet de serre par euro de chiffre d’affaires (par rapport à 2008) 

• Obtenir 80% des collaborateurs qui recommanderaient Monoprix en tant qu’employeur 

• Donner l’équivalent de 6 millions de repas chaque année à des associations.

La crise Covid-19 a-t-elle eu raison de ces ambitions ? Quels enjeux spécifiques la situation actuelle vient-elle ajouter à la liste ? Si l’on parle de secteur épargné, les acteurs se montrent-ils solidaires des plus touchés ? La révolution de la grande distribution est-elle déjà en marche ? Pour Monoprix, le progrès se fait « sans militantisme ». Alors c’est quoi son engagement ?

Réponses à nos questions par Karine Viel, Directrice RSE Monoprix.

The Good : Selon votre feuille de route RSE proposée en 2012, 4 objectifs sont à l’ordre du jour pour 2020. En cette fin d’année et après le passage de la tornade Covid-19, avez-vous d’ores et déjà des résultats à nous communiquer ?

Karine Viel : Nous sommes actuellement en pleine période de reporting et n’avons pas encore les chiffres pour 2020 mais je peux partager ceux de 2019.

– le 1er objectif est atteint : nous avons réalisé 15,3% de notre chiffre d’affaires à partir de produits biologiques, équitables, éco-labellisés (et 10% sur le périmètre des magasins Monoprix, excluant l’enseigne Naturalia qui fait partie du Groupe Monoprix)

– le 2ème objectif n’était pas encore atteint l’année dernière : nous n’avions diminué que de 13% les émissions de gaz à effet de serre par euro de chiffre d’affaires entre 2008 et 2019

– le 3ème objectif est en progrès : 71% des collaborateurs recommanderaient Monoprix en tant qu’employeur à un proche (contre 61% en 2012)

– et on considère le 4ème objectif comme atteint : nous avons donné l’équivalent de 5 millions de repas à des associations dans le cadre des dons d’invendus alimentaires et avons écoulé l’équivalent d’1 million de repas grâce aux paniers anti-gaspi Too Good To Go.

The Good : Pour Monoprix, le progrès se fait « dans l’innovation, dans la pédagogie, et dans la preuve », mais « sans militantisme ». Que cela signifie-t-il ? Pourquoi ? 

K.V. : Cette formule résume l’approche du développement durable par Monoprix et elle n’a pas changé depuis 1990. Monoprix a pour objectif d’accompagner les clients vers une consommation responsable conjuguant qualité, plaisir et efficacité avec respect de l’environnement et de l’équité sociale. Sans culpabilisation car Monoprix promeut un développement durable gai, ludique et en connivence avec ses clients ; sans militantisme parce que nous hébergeons tous les produits sous le même toit, qu’ils soient responsables ou pas. Dans l’innovation en capitalisant sur son caractère inventif pour rendre le développement durable désirable ; dans la pédagogie en décryptant les concepts parfois complexes du développement durable, et enfin dans la preuve en communiquant sur des réalisations concrètes, préférant les preuves aux bonnes intentions.

The Good : On pourrait penser que le caractère essentiel de la grande distribution protège en quelque sorte ce secteur de la crise actuelle. Pouvez-vous nous parler des enjeux spécifiques liés à cette industrie, et aussi propres à votre marque ?

K.V. : En effet, globalement, le secteur de la grande distribution n’est pas le plus à plaindre dans le contexte de la crise actuelle. Mais Monoprix est une enseigne de centre-ville atypique : même si le cœur de notre offre est d’abord alimentaire, nous réalisons 38% de notre chiffre d’affaires sur le secteur Textile Maison Loisirs.

Les mesures de couvre-feu ont obligé la fermeture anticipée de nos magasins, le comptage des clients a réduit la fréquentation. Et l’interdiction de vendre des produits définis par le gouvernement comme « non-essentiels » a entraîné la fermeture d’un certain nombre de points de vente et a impacté fortement notre activité. Aussi, les magasins parisiens par exemple souffrent de l’absence de touristes, et ceux qui se trouvent dans des quartiers de bureaux ou des gares n’accueillent plus les clients qui sont en télétravail.

Nos clients modifient leurs habitudes d’achats, et nous devons anticiper et adapter nos organisations et nos modes de fonctionnement avec agilité. Notamment, pour répondre à ces nouveaux besoins, nous avons accéléré le lancement de notre solution e-commerce alimentaire Monoprix Plus. Le nouvel entrepôt situé à Fleury-Mérogis (91) et utilisant la technologie Ocado est opérationnel depuis le mois de mai et nous permet de proposer à nos clients l’offre la plus large du marché, avec à date 35 000 références, ainsi que la gestion des dates limites de consommation en temps réel et la livraison à partir du lendemain dans un créneau d’une heure.

The Good : Au-delà de vos démarches solidaires habituelles, quelles sont les démarches et actions que vous mettez en place au moment de cette reprise de confinement ?

K.V. : Lors du premier confinement, notre priorité a été de protéger nos collaborateurs et nos clients via la mise en place de protocoles sanitaires stricts et précurseurs. Rien n’a été laissé au hasard. Également, dans l’urgence, beaucoup d’initiatives solidaires ont alors été mises en place pour soutenir le personnel soignant, les clients et les personnes les plus fragiles. De nouveaux services : un numéro vert pour commander des paniers de produits essentiels livrés à domicile, un service de livraison prioritaire baptisé « Portail Blanc » réservé au personnel hospitalier sur monoprix.fr. Des actions solidaires : campagne microDON pour l’AP-HP, opération masques solidaires, participation à la campagne “Les Paniers Solidaires” lancée par microDON, Ulule et KissKissBankBank, et durant le week-end de pâques 15% du chiffre d’affaires des fruits et légumes a permis de financer des masques pour les hôpitaux.

Dans le cadre du deuxième confinement, nous avons voulu soutenir les commerçants et artisans de quartier qui étaient obligés de fermer. Plusieurs magasins Monoprix ont pu accueillir des fleuristes, petits magasins de jouets, cordonniers, retoucheurs… pour qu’ils puissent présenter leurs produits, distribuer des catalogues et prendre des commandes à retirer en Click&Collect, etc.

Pour les clients les plus fragiles et les personnes âgées, nous avons mis en place un service leur permettant de déposer leur liste de courses en magasin ou de passer commande par téléphone. Enfin, Monoprix poursuit ses actions solidaires durant cette deuxième vague de la crise sanitaire : distribution de petits-déjeuners au personnel soignant de 6 hôpitaux parisiens et marseillais, mobilisation exceptionnelle dans le cadre de la collecte nationale des Banques Alimentaires avec plus de 500 collaborateurs du siège bénévoles, relai de la campagne nationale contre les violence faites aux femmes (communication en magasin, sur les tickets de caisse du numéro d’urgence 3919).

The Good : La crise Covid-19 a-t-elle influencé votre stratégie RSE, fait naître de nouvelles opportunités ou contraintes à votre transition écologique, sociale et solidaire ?

K.V. : La crise Covid-19 a mis en lumière notre mission d’utilité publique et sociale qui consiste à nourrir la population. La crise n’est pas qu’une crise sanitaire. Elle est économique et sociale. En 2019 et 2020, Monoprix a procédé à la refonte de sa stratégie Développement Durable afin de se donner de nouvelles ambitions à horizon 2030. Cette nouvelle stratégie, intitulée « Citadins et Citoyens », se veut en ligne avec les évolutions du Groupe Monoprix, du secteur de la distribution et de notre vision de la ville de demain.

La crise Covid ne l’a pas modifiée mais elle a renforcé sans doute son impérieuse nécessité et sa visibilité. Peut-être a-t-elle renforcé notre sensibilité sur des thématiques comme le soutien aux collaborateurs en situation de fragilité économique, l’insertion professionnelle. La Fondation Monoprix va concentrer ses actions pour les 5 prochaines années sur les sans-abris et l’accès aux produits de première nécessité.

The Good : Quelles sont les clés (outils de mesures, réflexions, données ou autres) qui manquent aujourd’hui pour que la transition vers un modèle réellement plus Good se fasse durablement sur l’ensemble du secteur de la grande distribution ? 

K.V. : Dans ce contexte d’apparente antinomie entre « consommation » et « responsable », le rôle des commerçants est essentiel pour changer les choses : proposer une offre plus respectueuse de l’environnement et des hommes, la rendre lisible et désirable, informer et sensibiliser les clients, lutter contre le gaspillage, …. constituent leurs principales responsabilités. Il s’agit de dépasser les approches de niche, d’intégrer les préoccupations sociales et environnementales au cœur de la stratégie pour passer d’une logique de volume à une logique de valeur, en passant du « vendre plus » au « servir mieux » en innovant intelligemment. Réconcilier consommation et développement durable est à la fois créateur de valeur pour l’entreprise, créateur de sens pour les collaborateurs, et créateur de liens nouveaux avec les clients.

Cela signifie aussi réconcilier le consommateur avec le citoyen qui sommeille en chacun de nous, en répondant à ses attentes de cohérence et de transparence.Très exposée, souvent critiquée, la grande distribution est à la croisée d’un nombre important d’enjeux et d’acteurs à mobiliser. Mais les changements de nos modes de vie et de consommation sont avant tout des changements culturels. Et ils prennent du temps et ils sont l’affaire de tous, agriculteurs, industriels, distributeurs, consommateurs… Chez Monoprix, nous voulons être le catalyseur d’un mode de vi(ll)e plus citoyen.

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