« Eau: face à l’urgence, la résilience doit se construire dans les territoires » Nicolas Imbert (GreenCross)

En France, les derniers mois ont été ceux où tous les indicateurs concernant l’eau nous alertent de plus en plus sur le dépassement des limites planétaires. Ces indicateurs montrent que nous assistons à la fois à une aridification accrue, à des sécheresses crues inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents. Ils montrent aussi qu’il faut revoir, de toute urgence, la gestion qualitative de l’eau tant comme eau de boisson que pour les écosystèmes, en y mettant les moyens appropriés.

Qui aurait pu prédire qu’une région comme l’Occitanie soit contrainte à déclasser l’eau – de potable à consommable et à privilégier le recours à l’eau en bouteille, tout en procédant à un mélange des eaux pour rester dans des seuils acceptables ? C’est pourtant ce qui a été révélé par le directeur des ARS Occitanie il y a quelques jours. Qui aurait pu prédire qu’une grande partie des départements du Sud-Est, à l’image des Alpes-Maritimes, soit en alerte sécheresse ininterrompue, depuis mars 2023 ? Pourtant, l’année dernière, en 2022, l’alerte sécheresse avait duré plus de 8 mois. Qui aurait pu prédire que les conflits d’usage autour d’une gestion de l’eau deviennent, depuis la Haute-Savoie jusqu’aux Deux-Sèvres, un enjeu de paix et de sécurité civile ? Pourtant les tribunaux administratifs comme le Conseil d’Etat rappellent aux préfets l’urgence climatique et l’importance de ne pas autoriser de prélèvements aux conséquences possiblement dramatiques. Qui aurait pu prédire que la sécheresse des sols atteigne désormais en Espagne un niveau qui menace les activités de maraîchage et d’arboriculture, ressources essentielles pour le pays ?

Le 30 mars dernier à Serre-Ponçon[1], en présentant le plan Eau, le Président Macron avait promis «une modernisation sans précédent de notre politique de l’eau». Pourtant très attendues et très médiatisées, les 53 mesures du plan présenté se sont avérées bien en deçà des attentes. A part un premier pas timide sur la tarification progressive de la ressource, ces mesures présentées ne sont pour la plupart que le rattrapage du retard pris dans la mise en œuvre de la directive-cadre européenne sur l’eau 2000/60/CE, ou plus récemment du règlement 2020/741 sur la réutilisation de l’eau, très loin des préconisations du GIEC, ou du Haut Conseil pour le Climat. 6 mois après, le bilan est d’autant plus maigre que de nombreuses mesures se sont retrouvées déshabillées par leur décret, à l’image de celui sur la réutilisation des eaux usées[2] qui fait perdre énormément de temps à la France sur le sujet, alors même que le règlement européen devrait s’y appliquer de plein droit depuis 2020.

Le rapport public annuel de la Cour des Comptes ne s’est pas trompé. Dans son chapitre 6, il relève « une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion qualitative de l’eau ». Il s’inquiète sur notre capacité nationale à atteindre le bon état des masses d’eau à horizon 2027, objectif issu de la directive-cadre européenne sur l’eau 2000/60/CE. La France serait-elle, comme sur la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, le seul pays européen à ne pas respecter ses engagements ? C’est un risque certain.

Il y a une urgence forte à agir. L’eau est la seule ressource non substituable nécessaire à la vie, et de sa bonne gestion dépendent la paix et la prévention des conflits d’usage sur les territoires.

La terrible sécheresse de 2022 fut l’une des premières occurrences climatiques où chaque français, informé ou non, a pu percevoir ce que le dérèglement climatique signifie au quotidien. Elle nous a aussi montré le niveau d’impréparation du pays et l’importance des démarches d’anticipation par une inflexion importante des politiques territoriales et sectorielles.

Dès septembre 2021, Green Cross avait anticipé l’urgence d’une meilleure résilience EAU via les territoires et co-construit à Dunkerque 14 propositions que 150 organisations se sont engagées à déployer, selon 3 axes : construction collective de la gestion territoriale et démocratique de l’eau, renforcement et effectivité de la gestion et de l’usage de la ressource, reconnaissance et promotion des multiples vies de l’eau par une gestion inclusive. (Plus d’information sur http://agireau.eu)

Parmi ces 14 propositions, figurent : la transparence institutionnalisée des politiques de l’eau, la création d’un indicateur d’empreinte eau, d’un observatoire et d’une Haute Autorité de l’Eau, une approche pacifiée de la coopération liée à l’eau, une gestion circulaire et optimisée de la ressource, la promotion des solutions fondées sur la nature. Plus généralement, intégrer l’eau plus largement dans les enjeux climatiques et environnementaux a été relevé comme une urgence vitale.

La situation actuelle impose de compléter ces propositions par la cartographie systématique des ressources, la mise en place d’une sobriété opérationnelle de l’eau, la tarification progressive tous usages (agriculture, industrie, habitat) et un plan de rattrapage sur la qualité de la ressource (notamment micro-polluants, pesticides, PFAS…). Les territoires doivent évoluer par la mise en place d’un schéma d’adaptation des activités agricoles et industrielles, l’agriculture régénérative, la restauration de biodiversité pour lutter contre les ilots de chaleurs et préserver les zones humides, la sanctuarisation des captages et la zéro artificialisation nette.

Un plan d’urgence pour une meilleure résilience EAU est nécessaire. Nous avons donc décidé chez Green Cross de nous mobiliser pour répondre aux enjeux à l’échelle de la société civile, avec les collectivités locales, les agences de l’eau, les entreprises, les établissements de recherche, innovateurs, associatifs, jeunes qui souhaitent répondre aux urgences écologiques par une gestion plus sereine de l’eau. Ceci correspond à un engagement d’une décennie et fait écho au cri d’alerte Sauvons l’Eau lancé par Mikhaïl Gorbatchev et Jean-Michel Cousteau, nos deux présidents, lors du Forum Mondial de l’Eau en 2012, ou encore à la signature du texte “tous avocats de l’eau” cette même année, à Marseille.

Au premier semestre 2024, nous allons organiser, en Région Sud, un colloque du passage à l’action généralisé, permettant un changement d’échelle significatif pour sauver l’eau, avec des participants professionnels issus des collectivités, des agences de l’eau et des comités de bassin, des innovateurs de l’eau, des “faiseurs” préservant l’eau au quotidien (opérateurs techniques, agriculteurs…), mais aussi des jeunes et acteurs du 1% eau et de la solidarité eau. Ce colloque aura pour vocation de co-construire des propositions opérationnelles pour et autour de l’eau, et par rapport à ses enjeux prioritaires.

Parmi ces priorités, 3 nous semblent essentielles : la sobriété et l’effectivité dans les différents usages, les multiples vies de l’eau (notamment la réutilisation des eaux usées traitées, le retour au bon état écologique des sources et des zones humides, la préservation acharnée de la ressource), et une préservation intégrée de la montagne à la mer, c’est-à-dire la préservation en amont des deltas mais aussi en aval des zones littorales, par la sanctuarisation et la régénération de biodiversité.

Ce sera en avril ou mai 2024, et nous comptons sur chacun de vous, car tou.te.s ensemble nous pouvons atteindre maintenant des objectifs ambitieux et en phase avec les recommandations du GIEC, du Haut Conseil pour le Climat et de la Cour des Comptes, avec la mise en transversalité de toutes les compétences, et ce d’une manière transparente et démocratique impliquant l’ensemble des forces vives des territoires. AGISSONS !  


[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/hautes-alpes/emmanuel-macron-presentera-le-plan-eau-jeudi-dans-les-hautes-alpes-2742566.html

[2] https://www.banquedesterritoires.fr/reutilisation-des-eaux-usees-traitees-le-decret-de-simplification-enfin-publie

Nicolas Imbert
Nicolas Imbert
ingénieur, est le directeur de l’ONG Green Cross, dont le rôle est d’éclairer les choix permettant de passer des vulnérabilités à la résilience climatique. Il a publié en décembre 2022 un ouvrage Plaidoyer pour un monde (plus) durable – www.repanserlaplanete.org

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