The Good : En quoi la défense du “petit” commerce est-il un axe de développement durable ?
Elisa Letellier : Inscrire Cannes dans un avenir positif et durable est un objectif majeur du maire, David Lisnard, depuis 2014. Afin de concrétiser cette ambition, la Ville a initié, dès 2015, un agenda environnemental intitulé ‘’Cannes 21’’. Sous forme de plan d’actions, celui-ci intègre les enjeux écologiques, économiques et sociaux au cœur de chaque projet municipal et illustre l’engagement prioritaire de la municipalité en faveur du développement durable car c’est un levier pour l’attractivité, l’emploi et le pouvoir d’achat. Le commerce local y prend une part importante.
Cannes est un centre commercial à ciel ouvert dont il faut préserver l’âme. Cette ville à taille humaine accueille jusqu’à trois millions de visiteurs et touristes chaque année, à l’occasion, notamment, de congrès d’affaires, d’événements sportifs et culturels, dont le Festival International du film, et lors de la saison estivale !
Si cette vie et cette effervescence nécessitent la présence de nombreux commerces, il nous appartient d’en assurer l’équilibre. Nous devons veiller à maintenir une bonne proportion entre grandes enseignes et petits commerçants, car ce sont eux qui font la diversité de la proposition commerciale et qui assurent la vitalité de notre centre-ville. C’est important pour les gens qui vivent à Cannes toute l’année.
The Good : Une ville (très !) vivante est synonyme de grande circulation. Quelles actions menez-vous en faveur d’une décarbonation ?
Elisa Letellier : De nombreuses actions sont mises en place par la mairie pour mieux gérer les mobilités, mieux circuler en polluant moins et favoriser l’accès aux commerçants de proximité. Nous pouvons citer les nombreux parkings de centre-ville repris en régie municipale depuis 2019, mais aussi le renforcement de l’offre de transport public et l’utilisation d’un biocarburant 100% renouvelable pour toute la flotte de bus thermiques du réseau Palm Bus produit à partir d’huiles végétales durables et de déchets en substitution du diesel, tout cela en plus de notre flotte de bus électriques.
En 2023, la Mairie de Cannes a également signé une charte de décarbonation de la mobilité en partenariat avec la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Celle-ci engage l’ensemble des autocaristes desservant la destination cannoise à des pratiques vertueuses. Et il y a aussi l’installation de nombreuses bornes de recharge pour les véhicules électriques partout en ville ou encore le développement des pistes cyclables dans toute la commune.
The Good : Comment préservez-vous votre centre-ville en vous assurant que ce ne sont pas de grandes enseignes qui vont coloniser les lieux ?
Elisa Letellier : Pour assurer un bon équilibre entre commerces, que ce soient des petites ou grandes enseignes, et logements, la Ville développe des zones de préemption. Depuis 2017, nous avions deux quartiers concernés : le quartier Prado-République et Bocca-centre. En 2025, nous avons ajouté le centre-ville. Ces zones permettent à la municipalité d’obtenir des informations sur les changements de commerces.
Si des opérations à venir ne correspondent pas à l’image que la Ville se fait de la diversité, elle peut préempter. Depuis huit ans, elle a préempté une bonne quinzaine de commerces puis a rétrocédé ces locaux à des activités choisies, qui s’intègrent mieux dans le quartier.
Par ailleurs, engagée dans une réflexion qui réunit les bailleurs sociaux et les syndicats hôteliers, la municipalité a récemment préempté deux immeubles à Cannes en vue d’y créer des logements pour actifs et pour les saisonniers, car ils peinent à se loger. Ces immeubles comprennent une quinzaine d’appartements et sont situés dans le quartier République.
The Good : Est-ce que préempter des locaux commerciaux vous permet de modérer les prix du marché ?
Elisa Letellier : Non, dans le cadre de la préemption commerciale, nous achetons généralement au prix de vente. Nous saisissons au préalable le Domaine, chargé de vérifier si celui-ci correspond au prix du marché. Il nous est parfois arrivé de pouvoir le faire baisser.
The Good : Comme dans toute ville touristique, Cannes dispose d’une offre conséquente en termes de location de meublés de tourisme. Comment faites-vous pour les limiter et assurer, aux Cannois, un accès au logement ?
Elisa Letellier : Une réflexion est en cours sur la location de meublés de tourisme. Bien que la capacité hôtelière atteigne 8000 chambres, l’offre complémentaire apportée par la location de meublés de tourisme est indispensable pour accueillir les visiteurs. La population totale de Cannes, soit 73 900 habitants, triple plusieurs fois dans. Pour autant, la Mairie de Cannes est très attentive à ce que l’offre, en termes de location de meublés saisonnière, ne soit pas exponentielle, notamment en centre-ville et dans la zone située autour du Palais des Festivals et des Congrès, car nous souhaitons y conserver une vie locale avec des habitants à l’année. Il est essentiel que les Cannois puissent se loger.
Afin de préserver la qualité de vie des habitants et garantir l’équité fiscale entre tous les acteurs du tourisme, la mairie de Cannes a renforcé, depuis plusieurs années, le cadre règlementaire applicable à cette activité. D’une part, tous les propriétaires d’un bien mis en location saisonnière ont l’obligation de le déclarer en mairie comme meublé de tourisme. D’autre part, la Commune a délibéré en 2017 pour instaurer un téléservice de déclaration en ligne, générant un numéro d’enregistrement du meublé devant obligatoirement être mentionné dans toutes les annonces publiées sur Internet par le propriétaire.
Nous travaillons actuellement sur un règlement portant sur les changements d’usage de logements longue durée en meublés de tourisme. Mais pour pouvoir le faire, nous avons, au-préalable, réalisé une étude de territoire pour quantifier les besoins actuels en termes de logements, identifier les carences, etc. Nous sommes en train de la finaliser.
The Good : Vous avez également entamé un travail sur des normes que vous envisagez d’imposer aux propriétaires de meublés de tourisme. De quel type de normes parle-t-on ?
Elisa Letellier : Une réflexion est effectivement en cours entre la mairie de Cannes et l’Association des maires de France (AMF), présidée par David Lisnard. L’idée serait, d’une part, de créer un inventaire exhaustif national des tous les hébergements touristiques pour mieux connaître les capacités touristiques du territoire et, d’autre part, de reconnaître comme « ERP » (équipement recevant du public) les immeubles totalement ou majoritairement affectés à de la location immobilière, avec obligation de répondre aux règles de sécurité imposées aux hôteliers (extincteur, alerte incendie, éclairage de sécurité, etc.). Cela permettrait de lutter contre la distorsion de concurrence et, surtout, d’assurer la sécurité des visiteurs.
The Good : La Ville ne se contente pas de surveiller et d’arbitrer. Elle forme également ses commerçants. Pourquoi les avoir récemment initiés aux cryptomonnaies ?
Elisa Letellier : Nous voulions que les commerçants puissent être formés et connaître les mécanismes pour pouvoir accepter, s’ils le veulent, ces règlements de façon facile et sécurisée. C’est une opération pertinente car Cannes reçoit de prestigieux congrès professionnels internationaux et va accueillir, à la fin de ce mois de juin, la conférence annuelle Ethereum, le plus grand rassemblement annuel en Europe de la cryptomonnaie. Quelques 10 000 professionnels de la cryptomonnaie et du Web 3 sont attendus. C’est une clientèle nouvelle.
Ces ateliers, organisés dans le cadre des Atelier Cannes Digital Web Camp (nous en organisons une trentaine chaque année, sur des thèmes différents), ont attiré énormément de commerçants. Il est important que nos professionnels soient formés et bien informés car il s’agit d’un levier de prospérité. La cryptomonnaie devient un nouveau mode de paiement et il leur faut être à la page !
