03/06/2025

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« À nous de prendre soin de ce territoire exceptionnel », Jean-Pierre Florence, maire de Cauterets (65)

Entre l’abandon d’un projet d’extension skiable, une gestion durable de l’eau, la géothermie et l’obtention du label Flocon Vert, Cauterets (65) trace sa voie vers une transition écologique exemplaire. Son maire, Jean-Pierre Florence, partage avec The Good une vision ambitieuse et concrète : faire du petit village pyrénéen un modèle d’équilibre entre préservation et attractivité touristique.

The Good : Le label Flocon vert, qui vous a été récemment décerné est venu saluer, entre autres choses, l’abandon d’un projet d’extension du domaine skiable de Cauterets. Quel était ce projet ?

Jean-Pierre Florence : Nous avons deux domaines skiables, le Cirque du Lys pour le ski alpin, et un domaine au Pont d’Espagne qui est dédié au ski nordique – ski de fond et ski de randonnée -, raquettes… Le domaine de ski alpin fait environ 100 hectares. Du fait de son exposition, il bénéficie d’un bon enneigement naturel qui perdure.

La municipalité précédente avait un projet d’extension de ce domaine par la création d’une liaison avec une autre station située dans une vallée voisine, à Luz-Saint-Sauveur. L’équipe municipale précédente voulait construire une remontée sur notre territoire. L’équipe de l’opposition, dont je faisais partie, s’était engagée contre ce projet. Combattre ce projet faisait partie de notre programme et c’est une des raisons qui a fait que nous avons été élus.

The Good : Pourquoi luttiez-vous contre ce projet ?

Jean-Pierre Florence : Cette extension posait, en premier lieu, des problèmes sur le plan environnemental. Il s’agissait d’envoyer des engins de chantier déboiser et terrasser un versant fragile de la montagne. Ce versant a déjà subi un éboulement en 1890 qui avait isolé le village de Cauterets, situé en aval, pendant six mois. Cet espace est fragile et nous ne voulions pas le dénaturer, et encore moins le détruire.

En outre, le projet consistait à réunir les deux domaines, gérés indépendamment par les communes dont ils dépendent, dans une gestion unique, mais nous ne voulions pas de ce rapprochement car la station de Luz-Saint-Sauveur est en difficulté financière. Il nous aurait fallu absorber les dettes au détriment des investissements à réaliser pour l’entretien de notre station. Ce projet était également aberrant sur le plan technique car la configuration des lieux rendait la liaison difficile. Elle n’aurait été accessible qu’à de bons skieurs. Cela posait un souci d’équité. Un équipement est fait pour tous. Pas que pour les bons skieurs !


The Good : C’est un territoire exceptionnel qui vous est confié et que vous oeuvrez à protéger. Pouvez-vous nous en faire le tour du propriétaire ?

Jean-Pierre Florence : Nous sommes sur un site exceptionnel, qui va bientôt être classé, du bas de la vallée, à partir de Pierrefitte – Nestalas (à 600m d’altitude), jusqu’à la zone frontière avec l’Espagne au Sud, soit 18 0000 hectares. Le périmètre est passé en commission supérieure des sites, a été accepté, et nous attendons l’arrêté du Conseil d’Etat. Le périmètre urbanisé est en site patrimonial remarquable (SPR) depuis 2022, c’est à dire, le cœur urbain du village. Tout ce qui se fait sur ce site est soumis à l’avis de l’architecte des Bâtiments de France.

Parallèlement à cela, notre territoire administratif compte 4 zones Natura 2000 qui bénéficient d’une protection particulière et nous avons, sur le secteur, 12 000 hectares en zone cœur du Parc national des Pyrénées, avec une règlementation stricte.

Notre site est très protégé par des labels et des réglementations. Nous sommes le village de France qui a la plus grosse dotation en biodiversité pour notre zone cœur du parc national et les quatre zones Natura 2000. 

The Good : La rançon de tout cela est l’explosion des maisons secondaires… Comment parvenez-vous à maintenir une population permanente ?

Jean-Pierre Florence : 90% de nos logements sont des résidences secondaires. A Cauterets, nous avons 800 habitants permanents. Nous avons 4800 propriétaires et plus de 25 000 lits touristiques. Des moyens importants qui ne sont pas sans poser des problèmes.

Au dernier recensement en 2019, nous avions perdu 20% de notre population depuis 2012. Notre projet principal est de renforcer notre logement à usage des populations permanentes et des travailleurs saisonniers. Nous avons déjà mené plusieurs opérations dans ce sens, et notamment acheté l’ancienne maison des gardes du Parc national, pour en faire des appartements pour des familles (6 appartements T3 ou T4) et nous avons acheté un hôtel désaffecté, en le préemptant car il allait devenir une résidence touristique, pour en faire une maison des saisonniers comprenant 27 appartements T1 et T2 qui seront livrés en fin d’année.

Les saisonniers ne trouvaient plus à se loger. Un troisième achat est en cours à travers un établissement public foncier d’un ancien hôtel dans lequel nous allons faire des logements sociaux. Nous allons développer un lotissement communal à bail réel solidaire, des lotissements à l’anglaise où vous êtes propriétaire des murs mais locataire du sol et lorsqu’ils veulent revendre, ils doivent le faire aux mêmes conditions qu’ils l’ont acheté, ce qui évite la spéculation immobilière, car la commune n’a aucun moyen légal de faire face à ce travers.

The Good : Le tourisme est à la fois une bénédiction et une malédiction….

Jean-Pierre Florence : L’activité touristique est à la source de notre économie qui repose sur trois piliers : la station thermale, qui date de 1850, et qui représente 20 à 25% de notre activité, la station de ski, qui représente 30 à 35 % des retombées, et le tourisme de montagne (randonnées, qui représente 40 à 50 % des retombées. Nous avons aussi cinq refuges, 30 lacs naturels, des cascades, et une trentaine de sommets autour de 3000m d’altitude, etc. C’est un territoire magnifié par l’eau.

The Good : Une eau que vous vous efforcez de préserver. Quelles mesures avez-vous mises en place ?

Jean-Pierre Florence : Jusqu’ici, sur la commune, nous payions tous notre eau au forfait et nous avons décidé de changer cela pour que tout le monde paye à la consommation pour avoir une gestion plus durable de la ressource. L’objectif est d’éviter le gaspillage. Nous avons installé des compteurs partout (depuis 2022 ). Sur la première année, nous avons abaissé notre consommation d’un tiers.

La pose de compteurs nous a coûté 1,7 million mais comme nous en avons a profité pour rénover le réseau, les travaux ont réprésenté 4 millions. C’est un budget autonome qui doit se financer en recettes et en dépenses. C’est la consommation et c’est le prix de l’eau qui finance toutes nos opérations. Auparavant, les gens payaient un prix dérisoire, à présent chacun paye un abonnement et sa consommation.

Donc, sans augmenter considérablement le prix de l’eau par unité logement. Pour les propriétaires permanents, cela ne change quasiment rien puisqu’ils paient un abonnement et leur consommation avec un prix au mètre cube qui est bas. Et nous parvenons à équilibrer nos comptes ainsi.

The Good : Vous avez également développé la géothermie…

Jean-Pierre Florence : Nous utilisons l’eau thermale pour chauffer nos bâtiments communaux. Nous chauffons actuellement l’office de la montagne et les locaux de la mairie et nous allons étendre le dispositif à l’office du tourisme ainsi qu’à d’autres bâtiments communaux. Nous allons aussi créer un nouveau bassin d’eau potable pour avoir une réserve tampon en cas de difficulté.

Nous avons déjà une réserve de 500 m3 d’eau, mais elle ne constitue pas une réserve suffisante pour alimenter 25 000 lits pendants 24 H en cas de souci. Nous allons créer un réservoir de 1500 m3 pour avoir 2000 m3 d’eau en cas de difficulté et pour minimiser la dépense, nous allons « turbiner » le circuit d’eau potable afin de produire de l’électricité. Nous aurons un retour sur investissements de 122 000 euros par an qui rendra l’installation rentable dès la première année. L’installation devrait être payée en trois ans. C’est novateur : peu de communes turbinent leur eau potable !

The Good : Qu’est-ce que ce Flocon vert que vous avez reçu récemment ? Et que vous apporte-t-il ?

Jean-Pierre Florence : Porté par l’association Mountain Riders, le « Flocon Vert » est à la fois un label et une démarche de progrès. Il a pour objectif d’engager et de structurer la transition écologique des destinations de montagne en impliquant les parties prenantes du territoire, et en imaginant ensemble des solutions concrètes pour donner forme à cette transition.

20 critères sont évalués pour être labellisé, suivant un cahier des charges né d’une concertation avec plus de 70 experts, scientifiques et professionnels. de la montagne. Ces exigences se traduisent autour de quatre grandes thématiques cherchant l’exhaustivité : gouvernance et résilience, économie durable, dynamiques sociales et culturelles, gestion des ressources.

Le comité de labellisation et l’équipe Flocon Vert ont décidé, pour distinguer les niveaux d’engagement des territoires dans leur transition, d’identifier les “niveaux d’avancement Flocon Vert”. 1er flocon : territoire engagé / 2e flocon : vers l’exemplarité / 3e flocon : exemplaire. Cauterets est la première station des Pyrénées à avoir obtenu 2 flocons, et ce du premier coup. Il n’y a actuellement aucune station en France labellisée 3 flocons.

The Good : Comment Cauterets a-t-elle travaillé pour obtenir le Label Flocon Vert?

Jean-Pierre Florence : Des ateliers grand public ont été menés avec l’aide de l’association Mountain Riders et nous ont aidé à choisir 7 axes de travail prioritaires qui constituent notre stratégie de territoire. C’est un document nécessaire à la labellisation, qui a été co-écrit entre la mairie, le domaine skiable, l’Office de tourisme et les thermes.

Mobilités, éducation / éco-gestes, achats responsables, énergie, logement, biodiversité cultivée et sauvage, diversité économique et attractivité hors tourisme sont donc les sujets que nous avons retenus.

Nous ne sommes pas rentrés dans ce processus pour l’obtention d’un panneau de plus à l’entrée du village, mais pour une véritable démarche de progrès. Notre programme électoral faisait écho au cahier des charges Flocon vert, alors nous nous sommes lancés. Cela nous a obligés à nous fédérer davantage, à réfléchir toujours plus sur la durabilité de notre gouvernance, à coucher sur le papier des projets, parfois communs entre les différents organes dirigeants et y associer des indicateurs de réussite.

Comme le souhaite l’association Mountain riders, nous travaillons à faire ressortir le meilleur de notre territoire. Leur analyse poussée nous a aidé à repérer les cailloux pour travailler dessus, et mettre en valeur nos pépites. La transition est amorcée dans le prisme environnemental.

L’écologie, c’est la science des relations des êtres vivants avec leur habitat, leur environnement, et c’est quand même le moins que l’on puisse faire quand on vit dans un milieu comme celui-ci, et qu’on vit de lui, aussi.

“A Caouteres, tout que garech », à Cauterets, tout se soigne, à nous de prendre soin de Cauterets, et puissions-nous inspirer d’autres villages!

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