16/12/2025

Temps de lecture : 5 min

Poiscaille : l’AMAP de la mer qui réconcilie pêche durable et juste rémunération

Et si consommer du poisson redevenait un acte écologique et solidaire ? Avec Poiscaille, Charles Guirriec a inventé un modèle en circuit court qui soutient la petite pêche côtière, valorise des espèces oubliées et garantit un meilleur revenu aux pêcheurs — sans faire payer plus cher les consommateurs.

Poiscaille, c’est un peu comme une AMAP, mais avec des produits de la mer, pêchés de façon responsable et distribués en circuit court. « Nous sélectionnons des pêcheurs dont le bateau fait moins de 12 mètres, une définition communément admise de la petite pêche côtière, et ce sont des embarcations qui pratiquent la pêche à petite échelle, explique le responsable », Charles Guirriec.

« Nos pêcheurs ne font que des sorties à la journée, ce qui garantit une intensité de pêche moindre. Et nous n’acceptons, pour partenaires, que des pêcheurs ayant des techniques de pêches durables, surtout pas de chalut ou drague ; méthodes qui ont de gros impacts sur les fonds. Les techniques douces ainsi que le fait d’acheter toute la pêche des pêcheurs permettent d’éviter les rejets. »

Et dans les filets, moult espèces. C’est ainsi que Poiscaille peut se targuer de faire découvrir et déguster aux Français, des poissons inconnus au bataillon, ou délaissés comme la Vieille commune, le Pagre, la Sériole, le Tacaud… Ceux-ci voisinent, dans les Casiers Poiscaille, avec des espèces plus connues telles le Bar, la Sole ou les maquereaux, mais aussi des fruits de mer et des crustacés. 

« Nous avons des retours de nos clients qui sont ravis de découvrir et de déguster des espèces dont ils ignoraient l’existence ou qu’ils n’auraient jamais songé à acheter. Et les pêcheurs sont heureux de nous dire que grâce à Poiscaille, ils peuvent valoriser des espèces qui servaient d’appât ou étaient rejetées. » Il arrive même que « des pêcheurs abandonnent certaines espèces pour favoriser des poissons qui ne trouvaient pas preneur auparavant. Cela permet de rééquilibrer l’effort de pêche et évite la surpêche d’une espèce ».

Le maître-mot : flexibilité 

Nul poisson d’élevage ne viendra bien sûr se glisser dans les Casiers, uniquement emplis de produits de la mer, choisis par les clients sous forme de combinaisons. « L’avant-veille de la livraison, précise Charles Guirriec, entre 19 et 22 heures, nous proposons une cinquantaine d’options. Si le client ne fait pas de choix, nous le faisons pour lui. Mais l’immense majorité de nos clients choisit son panier (93%). Nous proposons des assortiments variés, des combinaisons de poissons, de fruits de mer et crustacés et des paniers de tailles variables, qui vont du très petit, pour une personne, au très grand pour six personnes. 60% des paniers livrés contiennent des filets, et les poissons sont toujours vidés. Nous proposons aussi des poissons fumés et des plats-traiteur. »

Poiscaille a opté pour un système de panier plus flexible que dans les AMAP. « Le client est libre d’arrêter son abonnement quand il le souhaite, il peut changer les dates de livraison et le contenu. » Et ne demande pas un investissement personnel des clients.

« J’ai commencé au « cul » du camion, un peu en « pirate » »

La figure de Poiscaille, c’est lui, Charles Guirriec, fondateur et « grand fan de pêche » depuis qu’il est tout gosse. Une passion qui l’a amené à faire des études de biologie et à suivre une formation d’ingénieur agronome spécialisé pêche. « J’ai démarré observateur sur un petit bateau de pêche, raconte-t-il « et j’ai vu que les pêcheurs qui vendaient en direct vivaient mieux. Alors, j’ai commencé au « cul » du camion, un peu en « pirate » et… dix ans plus tard, mon entreprise vend du poisson à 28 000 clients, partout en France. Nous distribuons 50 000 paniers par mois. »

Poiscaille travaille avec 250 pêcheurs, soit 5% de la flotte française. Le poisson, en plus d’être frais et durable, est éthique car la rémunération des pêcheurs est garantie « à +20% de plus que le marché traditionnel, grâce à des prix stables tout l’année. A la vente aux enchères, les prix peuvent varier de façon très forte et la rémunération est directement liée au produit de la vente. Nous stabilisons le revenu d’activité, assurons un prix moyen, et, pour les pêcheurs, cela change tout ».

Entre 2017 et 2021, assure Charles Guirriec, « une étude INRAE montre que les pêcheurs ont ainsi bénéficié d’1.4 million en plus qu’avec le système traditionnel, grâce à Poiscaille ». Le modèle séduit et l’amont et l’aval : sur ces quatre années, le chiffres d’affaires cumulé de Poiscaille représente celui opéré aujourd’hui, soit 18 millions d’euros. « Je suis fier de me dire que nous sommes capables d’avoir un impact sans aller chercher des volumes immenses de clients. » Et bien que les tensions sur le pouvoir d’achat ont été durement ressenties, « en 2023, notamment, nous avons eu un et ralentissement ». Depuis, le marché est reparti et le circuit court gagne du terrain.

Le client paie le même prix, pour un pêcheur mieux rémunéré

Chez Poiscaille, qui emploie 75 salariés et dispose d’un entrepôt en région parisienne, quasiment toutes les opérations sont internalisées ; de l’achat du poisson à la livraison aux clients, dans le respect de la chaîne du froid, en passant par la découpe et l’emballage. « Nous assurons les livraisons en Ile-de-France. Nous avons toutefois recours à des sous-traitants partenaires pour le reste de l’Hexagone. » Sachant que les clients récupèrent, à 98 %, leurs commandes en magasins relais. La société assurant, à la marge, la livraison chez les particuliers.

Côté prix, Poiscaille se situe dans la moyenne des tarifs pratiqués par les poissonniers, en magasin ou sur le marché. L’absence d’intermédiaires lui permet de rémunérer davantage les pêcheurs. « Nous payons le poisson au même prix que paierait une poissonnerie et le client paie le même prix que dans une poissonnerie de quartier ou de marché. »

S’il a un temps travaillé avec les restaurateurs, Charles Guirriec a dû arrêter car ces professionnels demandent une stabilité des approvisionnements qu’il lui était difficile de promettre et d’assurer. Et quand bien même il n’en parle pas, il y a fort à parier que les discussions sur les prix étaient également épiques. Les restaurateurs ne valorisant pas particulièrement l’aspect durable auprès de leur clientèle.

« Il y a un problème de consommation, commente Charles Guirriec. En France, les consommateurs manquent d’information sur les espèces et le client ne va rien demander quant à la provenance du poisson, les techniques de pêche, etc. Le restaurateur peut se permettre d’acheter moins cher une pêche avec des pratiques moins vertueuses… ».

Faut-il arrêter de manger du poisson pour préserver la mer ?

Poiscaille ne s’appuie sur aucun label car « ceux qui existent sont insuffisants. Nous allons au-delà des standards », assure Charles Guirriec. Et d’expliquer que le label MSC n’offre aucune garantie en termes de techniques de pêche, sur la taille des bateaux, le temps de pêche, la rémunération des pêcheurs et l’impact de la pêche sur les fonds marins.

Ce label garantit que les « stocks » sont plutôt en bon état, que les captures sont déclarées et que les conditions de travail des gens de cette filière sont considérées. Il certifie seulement que les acteurs de la filière s’engagent à faire des progrès.

« Mais c’est le minimum que l’on devrait attendre des pêches dans le monde entier ! » Ce qui n’est pas le cas. « Si le consommateur achète des produits issus d’une pêche locale et française », achève-t-il, « il n’a pas besoin de MSC. Ce label est d’ailleurs peu présent sur les étals de poissons frais. » Il est surtout présent sur les produits transformés industriels qui s’achètent ainsi une bonne conscience.

A la question « faut-il arrêter de manger du poisson pour préserver la mer ? » Charles Guirriec répond qu’il s’agirait là d’une mauvaise lecture du sujet. « Le poisson, affirme-t-il, continuera d’être pêché et sera juste exporté à l’autre bout du monde ! Il faut surtout consommer mieux. Arrêter le saumon, le cabillaud, les crevettes tropicales ! Ceci aura un meilleur impact ».

Poiscaille a déjà fait bouger les lignes, mais Charles Guirriec espère essaimer pour convertir un peu plus l’Hexagone aux circuits courts.  « Il n’y a pas besoin que nous soyons des millions pour soutenir la pêche durable française, et soutenir les pêcheurs qui s’installent. Il suffirait de 100 à 200 000 personnes pour transformer durablement la filière pêche. »

Défi relevé.

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