Ethiquable : histoire d’une réussite ou quand le commerce équitable devient une chaîne de valeur (vraiment) vertueuse
Et si le secret d’un commerce équitable réellement transformateur se jouait… là où naissent les produits ? Ethiquable aide ses partenaires à reprendre la main sur la transformation pour mieux partager la valeur. Une révolution discrète, mais profonde. Décryptage.
« Notre axe stratégique de développement est d’internaliser la production », explique Stéphane Comar, directeur financier, co-fondateur de Ethiquable, fournisseurs de produits alimentaires équitables et biologiques. « Auparavant, nous achetions la matière première, la faisions transformer puis la commercialisions mais aujourd’hui, nous souhaitons soit acheter des produits déjà transformés par nos partenaires et nous les accompagnons en ce sens, soit nous transformons nous même les matières premières achetées directement auprès des coopératives partenaires. Aujourd’hui, 80% de nos produits sont transformés en interne : soit par nos partenaires producteurs, soit par nous. Nous ne sous-traitons que 20% de nos opérations de transformation. Internaliser la valeur ajoutée permet de mieux la maîtriser et la répartir. » Et dans une coopérative de production, car Ethiquable est une Scop, partager n’est pas un vain mot.
Pour bien comprendre la façon dont Ethiquable collabore avec ses partenaires, partons au Pérou, à la rencontre d’une coopérative avec laquelle la société a commencé à travailler sur du sucre complet il y a une vingtaine d’années. « Auparavant, relate Stéphane Comar, ils nous envoyaient des sacs de 25 kilogrammes que nous conditionnions ensuite en France. Nous leur avons demandé de conditionner sur place et de nous envoyer des sachets de 500 grammes et de 1 kilogramme. Trois ans après, ils ont créé une unité de conditionnement de sucre. Et cet équipement leur a permis de se développer sur une dizaine d’années. Ils vendent maintenant en Allemagne, en Italie. » Ethiquable leur achète égalementdu café et du cacao. Là aussi, la société a accompagné le producteur vers la transformation : « Au début, nous leur achetions les fèves de cacao et la transformation était faite en Italie. A présent, ils se sont dotés d’une usine de transformation des fèves en masse. C’est une vraie réussite ! »
La masse ? « Les fèves, une fois fermentées et séchées, sont torréfiées, broyées, explique Stéphane Comar. Après avoir enlevé les peaux, on peut alors faire une pate : la masse, qui va être utilisée, soit pour faire du chocolat, soit être pressée pour séparer beurre de cacao et de la poudre maigre. »
Conjointement à cette unité de transformation née au Pérou, Ethiquable a créé une chocolaterie à Fleurance, dans le Gers. « Nous y transformons la masse en tablette. La valeur ajoutée se répartit entre eux et nous. Et nous essayons d’en faire autant avec le café et le thé. Sur le café, nous travaillons avec un torréfacteur qui fait partie du groupe coopératif Ethiquable, installé à Pessac, une scop, comme nous. »
Dans le Gers, Ethiquable réalise ses recettes spécifiques. Ajoute du sucre, du lait en poudre, noix de coco, fruits de la passion, etc. « Nous intégrons des matières premières que nous achetons à d’autres producteurs, aux conditions équitables », assure Rémi Roux, cofondateur et directeur commercial de Ethiquable. « Si les tablettes étaient livrées avec tous les ingrédients, prêtes à emballer, il faudrait des containers réfrigérés, ce qui induit une logistique plus lourde. Donc, la tablette finale est faite chez nous. A l’exception de deux références de chocolat au cacao non torréfié, fabriqué en Equateur. Cette coopérative n’a pas acheté de machines mais elle a sous-traité à un petit industriel local qui coule les tablettes en intégrant du chocolat cru qu’ils nous envoient en container réfrigéré. »
Quant aux coopératives productrices de riz au Cambodge ou de Quinoa en Equateur, précise Stéphane Comar, « ils nous envoient des produits finis : ils assurent, le nettoyage, le triage, le polissage et le conditionnement. »
Des agronomes sur le terrain, pour aider les coopératives
Ethiquable s’est doté d’une équipe de huit agronomes qui viennent en appui des producteurs partenaires pour les accompagner sur ces projets, « car ils ne sont pas tous prêts à passer des étapes compliquées », précise Stéphane Comar. « Aussi, nous mettons des ressources à leur disposition, les aidons à trouver des partenaires financiers. Nous avons des fonds solidaires qui nous soutiennent depuis nos débuts et, dans certains cas, nous mutualisons les opérations avec des partenaires producteurs. Nous travaillons avec la SIDI, qui émane du CCFD, et qui assure les préfinancements. C’est un échange vertueux : les producteurs ont accès à des financements quelques mois à l’avance (entre 5 et 6 mois), le financeur est sécurisé car il a un contrat d’achat et nous, nous évitons de chercher encore plus de trésorerie. Tout ce travail mené avec des organisations de producteurs et des fonds solidaires assure la solidité de la chaîne de commerce équitable. »
Une chaîne solide qui grossit. En témoigne, par exemple, la coopérative péruvienne : quand Ethiquable a commencé à travailler avec elle, la coopérative comptait 700 membres. « Aujourd’hui, ils sont plus de 2500 paysans qui vendent 30% de leur production de café en équitable. Nous avons bien grossi, nous aussi. Nous achetons 7 à 8% de ce qu’ils produisent », commente Stéphane Comar. Le reste est vendu soit à d’autres acteurs équitables en Europe ou aux USA et sur le marché conventionnel, pour une large part.
Aujourd’hui, Ethiquable travaille avec un peu plus de 100 coopératives dans le monde et ses achats impactent 48 000 producteurs.
L’équitable du sud et l’équitable du nord
Ethiquable, c’est le commerce équitable du sud, mais aussi du nord, pour les produits issus de la petite agriculture française. « Au départ, le commerce équitable ne concernait que des produits dit « du sud« , explique Stéphane Comar. Dans les années 2000 jusqu’en 2010, les normes européennes ne nous permettaient pas vraiment de développer le concept en France. Mais nous étions sollicitées par les producteurs français et, à partir de 2010, nous avons commencé à travailler sur l’équitable et le bio avec la gamme Paysans d’ici, avec une charte dédiée, raconte Rémi Roux. Nous avons défini des normes du commerce équitable qui pourraient être applicables à un petit producteur français. En 2014, le ministre de l’ESS, Benoît Hamon, a intégré, dans la loi ESS, la possibilité de faire du commerceéquitable avec les producteurs français. Nous avions donc fait de l’innovation sociale ! »
Aujourd’hui, les MDD se lancent dans l’équitable mais, souligne Stéphane Comar avec force, « leurs engagements ne sont pas aussi forts que les nôtres, car nous respectons des labels plus engagés, plus exigeants sur les prix, le préfinancement, les projets de développement. Le label SPP a été créé par les producteurs en réaction à d’autres labels qui avaient tendance à aller chercher des multinationales et à abaisser les critères pour les faire rentrer dans la démarche. Le principe du commerce équitable est de faire travailler des petits producteurs organisés en groupements, avec un prix minimum garanti et des relations commerciales sur le long terme. Mais toutes lesdémarches qui visent à mieux rémunérer les agriculteurs par rapport au conventionnel, sont bonnes ! »
Pour les petits producteurs du nord, la démarche est la même ; Ethiquable, qui veut développer une gamme de céréales anciennes, les accompagne pour investir, par exemple, dans des moulins.
« Nous payons 30 à 40%, voire 100%, plus cher la matière première »
Ethiquable est en progression continue depuis 2023, bien que les années 2024 et 2025 ont été très impactées par la hausse des cours du café et du cacao. « Notre chiffre d’affaires était de 75 millions en 2023, 81 millions en 2024 et nous évaluons à 90 millions en 2025 », indique Stéphane Comar. « Les augmentations sont variable selon les produits, mais globalement, c’est beaucoup sur une évolution des prix plus que sur une évolution des volumes que cela se joue », ajoute-t-il.
« Notre croissance est limitée par le marché. Si nous avions plus de demande, nous pourrions acheter davantage. Nous n’avons aucun souci à trouver des producteurs car nous payons 30 à 40%, voire 100%, plus cher la matière première de plus que les prix du marché ». Et Rémi Roux de détailler : « La prime bio fait que quand le cours mondial du cacao était à 3000 dollars, nous achetions le cacao bio à 4300 dollars, et lorsqu’il est monté à 10 000 dollars, nous l’achetions à 11 300 dollars car la prime équitable s’ajoute, même si les prix sont au-dessus du prix minimum garanti du label équitable. Globalement, comptez 600 dollars de prime bio et 700 dollars de prime équitable. Mais c’est ainsi que les coopératives peuvent se développer. »
100% en agroforesterie
Ethiquable est donc certes impacté par la hausse des prix mais pas par la pénurie. Stéphane Comar explique que ladite pénurie touche surtout les industriels. « Globalement, il y a une demande mondiale en hausse sur le cacao et un peu sur le café, alors même que des problèmes climatiques survenus plusieurs années de suite ont fait baisser la production. C’est le contexte général. Mais, pour l’essentiel, la hausse s’applique à des denrées qui affichaient des coûts bas depuis de nombreuses années. Le cacao n’avait pas vu son prix évoluer depuis dix ans. Les prix étaient trop bas par rapport aux efforts fournis, aussi les plantations étaient-elles en mauvais état, voire délaissées, ce qui a entraîné une baisse drastique de la production au Ghana ou en Côte-d’Ivoire qui représentent 60% des échanges mondiaux. Sur le café, le Brésil et le Vietnam, qui sont les deux gros producteurs de café, ont enregistré des problèmes climatiques deux ans de suite, ce qui a fait que les volumes, sur le marché, ont baissé et les stocks de régulation ont diminué drastiquement, donc les prix se sont envolés. Ces produits étaient payés au lance-pierre depuis des dizaines d’années. La production a été délaissée et la main d’œuvre s’en est détournée. »
La réponse d’Ethiquable est micro-économique. La société travaille avec des petits producteurs, sur des parcelles en agroforesterie et ces exploitations, en cas d’événements climatiques, sont d’avantage préservées que les grandes plantations industrielles en plein soleil. « Nous faisons la promotion de ce modèle et achetons 100% de nos produits en agroforesterie. Ce sont des modèles résilients ; des modèles d’avenir », commente Stéphane Comar. La rémunération juste des paysans leur permet ensuite d’investir dans leurs exploitations; de les entretenir pour qu’elles soient en bonne santé et plus résilientes face aux événements climatiques. Un café industriel traité au tracteur, glisse-t-il, est deux fois moins cher mais « les exploitations ne sont pas résilientes. Leurs caféiers vont durer dix ans. Nos producteurs ont des caféiers qui ont 25 à 30 ans ».
« Sur le chocolat bio, nous sommes la 1ere marque avec 30% de PDM »
En équitable et en bio, la plus grosse marque est Ethiquable (en GMS) ou Terra Etica (en magasins spécialisés). Quant au marché de l’équitable, qu’il soit bio ou non bio, il représente plus de 5% de parts de marché avec, pour premier produit, le café Malongo des petits producteurs. Si l’importance des produits du commerce équitable va dépendre du type de produits, les premières familles historiques sont le chocolat – le chocolat bio, c’est 7% des parts de marché, et le café torréfié c’est 10%. Et « sur le chocolat bio, nous sommes la première marque avec 30% de PDM depuis quelques années », explique Rémi Roux.
Ethiquable aujourd’hui, c’est 300 références en catalogue qui représentent 12 familles de produits dont les quatre majeures sont le chocolat, le café, le thé et les tartinables, qui représentent 80% du chiffre d’affaires de la société. A eux seuls, le chocolat et le café représentent 60% de son chiffre d’affaires. Une hausse sur les cours du chocolat, comme ce fut notamment le cas entre juillet 2023 et avril 2024, – les cours du chocolat avaient alors augmenté de 280% – a donc de lourdes répercussions sur la société, comme pour tous les acteurs du secteur. Pour autant « nous n’avons pas toujours impacté les hausses de prix sur le consommateur parce que nous avions déjà envoyé les tarifs aux distributeurs. Ils sont transmis en octobre, explique Rémi Roux. Il y a un fort délai de latence entre le moment où l’on acquière les matières premières et le moment où l’on peut répercuter une partie sur les tarifs »
Le commerce équitable est en progression, notamment parce que se développe en France, depuis cinq ans, le commerce équitable des filières françaises. Selon l’Observatoire du commerce équitable France, les ventes ont explosé de 25%, en 2024. Le marché a représenté 2.6 milliards d’euros l’an dernier. « La croissance repose sur les filières françaises », abonde Rémi Roux « Sur les produits issus du sud, nos ventes n’ont progressé que de 1% en 2024 ».
Pour autant, Ethiquable ne lorgne pas à l’international où il est fort peu présent : « Nous avons une filiale Ethiquable au Benelux et un partenariat avec une coopérative espagnole qui est venue nous solliciter, mais se développer à l’international n’est pas une orientation stratégique. » Non. La scop, vous l’aurez compris, est davantage intéressée par le développement de ses producteurs et le partage de la valeur ajoutée…
Vous reprendrez bien un petit carré de chocolat avec votre café ?
En vrac…
Ethiquable s’est positionné sur le marché du vrac car « c’est une orientation du secteur alimentaire », sourit Stéphane Comar. La société a développé un concept propre : elle livre des boîtes de 3 à 5 kilogrammes hermétiques et prêtes à servir grâce à un bec verseur.
« Nous avons préféré ce modèle plutôt que la livraison en silo. Normalement, ce système permet d’éviter les mites alimentaires, commente Stéphane Comar. Ces mites constituent un problème complexe car la production bio interdit des traitements sévères. Il faut prendre des dispositions drastiques pour importer les produits et les stocker dans de bonnes conditions. Si l’hygiène n’est pas respectée sur l’ensemble de la chaîne, les soucis apparaissent vite… » Et si un produit est contaminé, tous les autres produits en vrac sont contaminés très rapidement.