Skier est-il compatible avec l’urgence climatique ?

Face à l’impératif d’une économie décarbonée, le ski est de plus en plus pointé du doigt pour son empreinte écologique. Entre la pollution des voitures et des avions, l’aplanissement des pistes par des engins à fioul et les nuisances dont souffrent la faune et la flore, le bilan est alarmant. Un constat d’autant plus inquiétant que moins de 8% des Français partent à la montagne pendant l’hiver.

Puisque l’hiver arrive et que la seconde vague du Covid-19 n’est pas encore terminée, la question de l’ouverture des domaines skiables a placé les sports d’hiver au centre du débat public. Au-delà des questions ubuesques quant à l’ouverture ou non des remontées mécaniques, c’est surtout la compatibilité des sports d’hiver avec l’urgence climatique qui interroge. Rien qu’en terme d’émission, les stations françaises émettent chaque année 800 000 tonnes de CO2 selon le cabinet de conseil Solving Efeso, dont une grosse portion est imputable aux transports et aux engins de damage qui aplanissent les pistes. Certes, cela permet à des millions de Français de se rendre en montagne pour dévaler les pistes. Certes cela crée plus de 120 000 emplois dans l’hexagone. Mais ces gains économiques et touristiques participent à la dégradation du climat, des habitats naturels et des ressources en eau. Dès lors, un juste milieu entre protection du climat et préservation de l’économie est-il possible ?

94% des émissions sont liées aux engins d’aplanissement

Avant de tenter une réponse à cette question, passons en revue les effets des sports alpins sur l’environnement. Selon une étude de l’ADEME, 57% des émissions de gaz à effet de serre émis dans une dizaine de stations représentatives proviennent des transports. Et parmi elles, 63% viennent des touristes, lesquels privilégient la voiture à 50% et l’avion à 35%, contre 11% cumulé pour le bus et le train. Des émissions importantes auxquelles s’ajoutent celles des nombreux engins de damage, des véhicules lourds qui fonctionnent au gasoil et dont la mission est d’aplanir la neige des pistes. Selon le syndicat national des Domaines skiables de France (DSF), 94% des gaz à effet de serre des stations seraient liés à ces engins de damage. Des émissions qui culminent ainsi à 800 000 tonnes de CO2 par an. Un calcul qui exclut les transports type avion et voiture cités plus haut, ainsi que l’acheminement de la marchandise jusqu’aux stations.

L’impact des sports hivernaux sur l’environnement sous-évalué

Au-delà des gaz émis, c’est aussi la dégradation des écosystèmes qui inquiète. Pour que les pistes soient praticables et sans danger, des aménagements topographiques sont  fréquemment réalisés, réduisant la taille des habitats naturels environnants. Courtney Larson, chercheuse à l’Université du Colorado, souligne que « la construction de routes et d’infrastructures, la coupe d’arbres et l’entretien des pistes détruisent l’habitat sous la neige où de petits mammifères trouvent refuge ». La chercheuse en biologie souligne d’ailleurs que l’impact des sports hivernaux est peu étudié contrairement à la plongée ou la randonnée, produisant des résultats sous-évalués. Cela dit, les scientifiques connaissent de mieux en mieux l’impact sur la flore. Sa végétation est par exemple systématiquement retardée par l’enneigement prolongé des pentes. « Il existe aussi une perturbation liée au bruit des remontées mécaniques, des voitures, mais également une pollution lumineuse […] qui effraie la vie sauvage, qui finit par quitter ces zones », explique-t-elle.

Une neige de culture plus coûteuse en énergie qu’en eau

En matière de gestion de l’eau, le débat est complexe. De grosses quantités sont prélevées chaque année afin de fabriquer de la neige de culture qui compense le manque de neige naturelle. Ainsi, 37 % des surfaces des pistes en France sont sécurisées par la production de neige de culture, soit 25 millions de m³. Mais les professionnels du secteur insistent sur le fait que l’eau est prélevée et non consommée car après sa vaporisation et sa transformation en flocon, elle est restituée au début du printemps par fonte et infiltration des sols. Un argument solide, mais qui ne répond pas au problème énergétique de la  neige de culture. Cette dernière nécessite en effet une énergie importante pour être produite, environ 3kWh pour 1m³ de neige. Une énergie qui a la chance d’être decarbonée en France grâce au nucléaire, mais qui est issue principalement des énergies fossiles chez vos voisins.

Les éco-engagements des stations de ski

Face à ce constat écologique, on serait tenté de dire que le tourisme de masse des sports d’hiver est incompatible avec le contexte d’urgence climatique. Alexandre Maulin, président des Domaines Skiables de France (DSF) a ainsi présenté en octobre une série d’engagements en faveur de la cryosphère. Parmi eux, l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2037. Les engins de damage étant hautement émetteurs, le syndicat ambitionne d’alimenter ces véhicules à partir d’hydrogène, une énergie sans émission locale de CO2. Mais pour être durable, l’hydrogène doit être produit de façon renouvelable, une technique qui n’a pas encore fait ses preuves selon de nombreux spécialistes de l’énergie. Concernant la gestion de l’eau et la production de neige de culture, le syndicat s’est engagé à limiter ses prélèvements sans préciser les quantités concernées. Quant à la question de la biodiversité, l’engagement  se limite à un inventaire des espèces, mais pas à une diminution des aménagements topographiques. Pourtant, Anne Marty, présidente déléguée de DSF, se réjouit de cette feuille de route. « Pour la première fois, c’est tout un secteur qui se mobilise pour préserver et maintenir son activité. ». Il est vrai que l’engagement est inédit, mais les enjeux sont immenses. D’après le GIEC, en Europe centrale, les glaciers pourraient avoir perdu 80 % de leur volume en 2100.

Romain Salas
Romain Salas
Journaliste. Après une licence de droit à la Sorbonne et un master en médias et communication au CELSA, Romain tombe dans les charmes du journalisme et de l'écriture. Avec un tropisme fort pour l’écologie et la justice sociale, il imprègne dans ses choix éditoriaux un parfum d'engagement à la mesure des urgences de notre temps.

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