“Nous voulons croître par la qualité”, Alexandre Fauvet (Fusalp)

C’était la grande classe sur les pistes : les touristes dévalaient les pentes, moulés dans des fuseaux près du corps, pendant que les athlètes de l’époque slalomaient avec attitude entre des piquets, moulés eux aussi dans les toutes premières combinaisons de ski techniques. Le tout flanqué de l’écusson Fusalp, évidemment.

Un choix esthétique autant que technique, puisque les matières utilisées par les deux tailleurs annéciens à l’origine de la marque représentaient une innovation aussi majeure qu’efficace – on pourra d’ailleurs toujours se demander si les seize médailles (des vingt-quatre possibles !) emportées par l’équipe de France à la coupe du monde de ski de 1966 sont à mettre à l’unique crédit du talent des Annie Famose, Guy Périllat et Léo Lacroix de l’époque.

Toujours est-il que la marque annécienne créée en 1952 connait dans les années 60 une ascension fulgurante, séduisant à la fois professionnels et amateurs de ski à une époque où les sports d’hiver se développent rapidement. Si bien qu’à la fin des années 70, la marque emploie 1200 personnes, avant de décliner, puis carrément sombrer aux débuts des années 80.

En 1984, la marque emblématique – contraction de Fuseau et Alpes -, dépose le bilan. Elle est reprise par d’anciens salariés, qui la délocalisent et tentent tant bien que mal de la redéployer. Mais ne ranime pas Fusalp qui veut, et il faut attendre de longues années pour qu’une famille au nom bien connu s’intéresse à la marque. Nous sommes au milieu des années 2010. Sophie, Philippe et sa femme Mathilde Lacoste sont en quête d’un nouveau projet suite à la vente de l’entreprise au crocodile. Avec Alexandre Fauvet, ancien Directeur exécutif de Lacoste, ils souhaitent se lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, convaincus du potentiel d’une marque capable de créer un vestiaire à la fois urbain et sportif, adapté aux modes de vie actuels. Rapidement, le nom de la marque annécienne ressurgit, et avec elle son lot d’archives, d’histoires et d’aura. Bonne pioche: la nouvelle aventure peut commencer.

En amont de sa participation à la prochaine édition des Sommets -The GOOD est partenaire- qui auront lieu à Méribel du 3 au 5 avril prochain, Alexandre Fauvet, directeur Général et actionnaire de Fusalp, nous a partagé quelques réflexions sur le passé et l’avenir d’une marque incontournable.

Qu’est ce qui vous a séduits chez Fusalp ?

Suite à la vente de Lacoste, nous avions envie de réinventer le vestiaire contemporain, avec des pièces à la fois confortables et à la mode, pouvant être portées dans la vie de tous les jours. Notre idée forte consistait à effectuer un transfert technique des vêtements de sport vers le vestiaire urbain. Personnellement, je m’étais d’abord tourné vers l’univers du yachting, mais n’y avais pas trouvé la technicité que nous cherchions, notamment au niveau du stretch. Fusalp en revanche possédait un formidable historique technique, en plus de jouir d’une histoire très riche, notamment d’un point de vue humain. Nous avons été très vite séduits par cet héritage, et avons eu envie de continuer cette histoire, pour nous en faire, en quelques sortes, les passeurs.

Quels ont été vos premières décisions à la reprise de Fusalp ?

Nous étions un peu attendus au tournant. Il y avait cette peur que nous, parisiens, allions déraciner l’entreprise. Nous avons fait l’inverse et sommes revenus à Annecy. Nous sommes aussi, très rapidement, allés puiser dans l’Histoire de Fusalp, plongeant dans les archives et nous rapprochant de ceux qui ont connu et construit la marque à ses débuts. Il était notamment très important pour Mathilde Lacoste, la directrice artistique, de retrouver les modèles qui avaient fait le succès de la marque. Nous avons ainsi pu remettre la main sur la première combinaison de ski, ainsi que celle des championnat du monde de 1966. Nous avons aussi retrouvé les athlètes liés à la marque, comme Jean-Claude Killy, Léo Lacroix ou les sœurs Goitschel, pour qu’ils nous en racontent à leur tour l’histoire de Fusalp, depuis leur perspective. Cela nous a aidés à renouer avec l’identité de la marque mais aussi avec l’univers de la compétition, projet qui nous tenait à cœur. De fait, depuis 2021, nous équipons l’équipe britannique de ski alpin. C’est une belle manière de prolonger l’histoire sportive de la marque – et un joli clin d’œil que de voir des athlètes britanniques courir avec les couleurs d’une marque très française. D’ailleurs, notre logo est lui aussi revenu à son aspect initial, aux couleurs bleu, blanc et rouge.

Parlons des produits : comment avez-vous voulu les réinventer ?

Très vite, nous nous sommes concentrés sur le produit. Nous les voulions de haute qualité, sans compromis. Et nous voulions des produits versatiles, qui puissent être portés à la ville comme à la montagne. En revanche, nous ne souhaitions pas aller dans le vintage – c’est d’ailleurs un terme que nous avons banni de notre vocabulaire, car notre objectif n’est pas de répliquer le passé. Notre objectif est davantage de nous en inspirer, de manière à inventer un vestiaire contemporain tout en gardant les codes de la marque. Nous appelons cela le « Fashion tech», sorte d’alliance entre la mode et la technicité, adaptée à une vie en mouvement. Un vêtement, à notre sens, doit être confortable – d’où l’intérêt du stretch – et doit protéger : du froid, des UV, etc… C’est même sa fonction principale.

Nous avons donc mis l’accent sur deux volets : le premier, c’est l’innovation. Nos produits sont conçus et testés en interne. Ils subissent plus de 6000 tests par an, dans nos locaux annéciens.

Le second volet sur lequel nous investissons énormément, c’est celui de la durabilité et de la soutenabilité des produits : les matières que nous utilisons représentent 60% de leurs émissions de C02. Améliorer cet aspect là est devenu une priorité.

La performance environnementale de vos produits est -elle votre plus gros défi à l’heure actuelle ?

Oui, de loin. Et c’est d’autant plus important pour une marque comme la nôtre, basée aux pieds des montagnes.

Comment adressez-vous ce défi ?

Nous commençons par faire le bilan environnemental de nos produits, duquel découlent trois principaux axes d’amélioration. La première chose à regarder, c’est la façon dont sont fabriquées les matières et avec quel mix énergétique. Pour améliorer cela, nous tâchons d’accompagner nos fournisseurs dans leur transition énergétique. La seconde chose à améliorer, c’est la durabilité du produit. C’est désormais notre premier engagement envers le consommateur. Nous avons ainsi passé notre garantie de 2 à 5 ans et nous nous engageons à réparer nos produits à vie. Cela représente au passage un gros travail de maillage géographique à réaliser afin de pouvoir proposer des réparateurs agrées de manière locale. Le troisième axe à travailler concerne la fin de vie des produits. Nous privilégions ainsi les matières recyclées mais aussi recyclables, à condition toutefois qu’elles soient elles-mêmes durables, sinon on retombe dans un cycle très énergivore de recyclage des matières. A ce niveau là, hélas, il n’y a pas de solution miracle. C’est un vrai défi.

Où sont produits vos vêtements ?

La R&D est essentiellement basée en France. Les matières sont fabriquées en Suisse, Corée, Japon, France, mais viennent principalement d’Italie. La production est réalisée en Europe et en Asie. Les vêtements les plus techniques sont produits à Shanghai, car ce sont les meilleurs. Ce n’est pas idéal pour le transport, et nous cherchons à rééquilibrer cela, mais il faut ici rappeler que le transport ne compte que pour 6% des émissions de nos produits.

Comment a évolué l’entreprise du point de vue des ressources humaines ?

D’abord, l’échelle a changé. Nous sommes passés de 30 personnes au moment de la reprise en 2014 à 250 aujourd’hui. Et nous continuons de recruter. La moyenne d’âge a quant à elle beaucoup baissé – elle est aujourd’hui de 35 ans environ. Nos collaborateurs sont également de plus en plus internationaux, puisque nous sommes désormais présents dans 25 pays, avec huit filiales à l’étranger. Nous employons désormais 25 nationalités différentes. Là où, avant, Fusalp était très français, confiné aux Alpes, l’entreprise est désormais internationale, ce qui suppose un changement de culture qu’il faut réussir.

Fusalp croît très rapidement. Votre CA à été multiplié par huit en huit ans : la croissance est-elle votre objectif principal ?

Oui, nous voulons croître, mais par la qualité et non la quantité. Nous enregistrons une croissance de 25 % de notre chiffre sur l’année 2022-2023 : la moitié de cette croissance reflétant directement l’augmentation de la qualité des produits. C’est la valeur du produit qui nous importe, celle-ci étant à son tour déterminée par la régularité et la longévité de son utilisation. Un produit qui a de la valeur est un produit qui est porté souvent et longtemps. Quand je vois nos doudounes Fusalp portées par des hommes en scooter à Paris avant de les revoir portées en station, je me dis qu’on est sur la bonne voie.

A l’heure du tout digital ou presque, vous continuez de miser sur la vente en boutique : pourquoi ?

Nous réalisons 80% de notre chiffre en boutiques, et continuons d’en ouvrir – avec notamment deux nouvelles boutiques à Aspen et New York, dont nous sommes très fiers. Pour nous, la valeur passe aussi par la relation client. Et puis cela permet une meilleure gestion des stocks, ce qui est essentiel si nous voulons éviter la surproduction et le sur-stock. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous ne faisons pas de soldes : nous voulons éviter d’entrer dans des cycles de liquidation, avec des stocks à écouler. Ce n’est pas notre modèle économique. Encore une fois, nous voulons proposer des produits à forte valeur, susceptibles d’être portés longtemps, plutôt que de devenir rapidement obsolètes. De fait, certains de nos produits sont atemporels, présents en boutique depuis notre première collection en 2015.

Propos recueillis par Sophie Guignard – Lacroix

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