03/01/2022

Temps de lecture : 5 min

Est-il encore possible d’être optimiste en 2022 ?

Il paraît de plus en plus difficile de se montrer positif et optimiste aujourd’hui. Du moins si l’on dépasse la simple posture du biais optimiste, qui peut favoriser d’ailleurs des conduites à risque, et de la positivité qui peut s’avérer toxique, ou bien les recettes toutes faites de coachs, conférenciers ou autres auteurs de développement personnel qui nous incitent à voir le verre à moitié plein.

Il paraît de plus en plus difficile de se montrer positif et optimiste aujourd’hui. Du moins si l’on dépasse la simple posture du biais optimiste, qui peut favoriser d’ailleurs des conduites à risque, et de la positivité qui peut s’avérer toxique, ou bien les recettes toutes faites de coachs, conférenciers ou autres auteurs de développement personnel qui nous incitent à voir le verre à moitié plein.

En effet, nous sommes tout d’abord sans cesse bombardés d’informations anxiogènes en provenance des médias, a fortiori dans une période de crise sanitaire majeure. Cette exposition a des effets maintenant bien connus sur notre santé mentale. Celle-ci peut même aboutir à ce que les spécialistes appellent un « esprit collant » (sticky mind). Il s’agit d’une anxiété générée par une telle exposition dont il est très difficile de se détacher. Il en est de même de l’exposition au caractère souvent « toxique » des réseaux sociaux numériques, qui sont « submergés par les idées radicales » et qui « nous poussent à exprimer davantage notre colère et notre méchanceté ». Les « Facebook Files », révélés en 2021, ont ainsi montré que Facebook avait sciemment caché les effets néfastes des réseaux sociaux, en particulier d’Instagram, sur la santé mentale des adolescents.

Ensuite, il n’est pas toujours facile de rester positif et optimiste dans une période où peu de choses incitent à l’être. L’hebdomadaire The Economist, en se basant sur la surmortalité dans le monde, évaluait mi-décembre le nombre de décès liés à la pandémie de Covid-19 à 18,2 millions, soit plus de trois fois plus que le chiffre officiel de 5,3 millions. Les événements climatiques extrêmes, sans aucun doute liés au dérèglement du climat en cours, se sont multipliés cette année. On peut y rajouter la situation de la démocratie, de la pauvreté et de la sous-alimentation dans le monde qui se dégrade à nouveau, les Talibans de retour au pouvoir en Afghanistan ou bien les menaces de conflits armés ça et là.

Facteur aggravant, l’optimisme aujourd’hui, et en particulier l’« optimisme technologique », apparaissent assez largement décriés. Pour beaucoup de scientifiques et de partisans de la transition écologique, cet optimisme technologique fait même partie des justifications de l’inaction climatique. Le chercheur Julian Allwood, coauteur du 5e rapport du GIEC, explique ainsi que le « techno-optimisme » est dangereux car il « bloque toute action sérieuse d’atténuation du réchauffement climatique ». Clément Fournier expliquait d’ailleurs il y a quelques années qu’« il vaut mieux être pessimiste à propos du changement climatique » car non seulement « la situation est vraiment catastrophique », mais en plus « être optimiste sur le changement climatique nous empêche de prendre les bonnes décisions » en nous conduisant à sous-estimer la gravité de la situation.

Néanmoins, il est aussi important d’avoir à l’esprit qu’en 2021, ont été lancées ou sont montées en puissance de nombreuses initiatives dans la presse traditionnelle ou sur les réseaux sociaux numériques qui avaient pour objectif de mettre davantage en avant tout ce qui était positif. Sans souci d’exhaustivité, on peut ainsi mentionner la newsletter hebdomadaire du Monde « Fil Good » ; le lancement du magazine Épatant, qui se présente comme un magazine de journalisme de solutions ; la création d’AirZen, la « première radio numérique 100 % positive » ou d’Altruwe, le réseau social positif de « ceux qui s’engagent pour l’altruisme » ; l’incroyable succès du Média Positif, créé par deux étudiants, Emma Rouvet et Hugues de Rosny, qui publient quotidiennement des informations positives sur divers réseaux sociaux (avec 215 000 abonnés sur leur compte Twitter par exemple) ; et bien d’autres initiatives, telles que la newsletter hebdomadaire sur les bonnes nouvelles de la semaine de Martine Le Jossec. Sans oublier des initiatives assez connues maintenant, comme la Ligue des optimistes de France, le Printemps de l’optimisme, PepsNews, PositivR, l’Institut de l’économie positive, The Good, ou encore le site L’Optimisme de Catherine Testa.

En même temps, en 2021, plusieurs études nous ont rappelé à quel point l’optimisme pouvait avoir des bienfaits sur notre santé mentale et physique, ainsi que sur notre longévité. Une étude menée par des chercheurs de l’université hébraïque de Jérusalem, dont les résultats ont été révélés en 2021, qui a consisté à suivre quelque 1 200 personnes âgées (nées en 1920 et 1921) pendant plus de 30 ans, conclut que l’optimisme contribue à rallonger l’espérance de vie et a « un impact sur la survie ». Mais dans ce cas-là, peut-on devenir optimiste ? Oui répond Sylvie Chokron, directrice de recherche au CNRS, dans un texte qu’elle a récemment publié dans Le Monde. Elle y fait référence à plusieurs expériences qui l’amènent à conclure qu’« On peut […] apprendre à être plus optimiste et en bénéficier même sur le plan physique ».

On voit bien aussi l’ambiguïté qui peut exister à propos de l’optimisme dans les enquêtes d’opinion. Les sondages indiquent les uns après les autres que les Français sont majoritairement déclinistes sur l’état du pays et pessimistes sur son avenir. Et pourtant, ils tendent à se dire satisfaits de leur propre existence et de vivre en France. Thierry Keller et Arnaud Zegierman indiquent dans leur ouvrage Entre déclin et grandeur : regards des Français sur leur pays (Editions de l’Aube, 2021), basé sur une enquête menée auprès des Français, que 81 % de ceux qu’ils ont interrogés se sentent bien en France et que 88 % d’entre eux s’estiment chanceux d’y vivre. De même, dans l’édition 2021 du Baromètre des territoires Elabe-Institut Montaigne, 78% des Français interrogés se disent heureux, et même 38% très heureux, et 57% envisagent leur avenir personnel avec optimisme. Ces résultats sont même en hausse par rapport à la dernière enquête qui date de 2018.

Au final, n’oublions pas en premier lieu de faire la part des choses comme l’expliquait Barack Obama devant des jeunes en 2017 : « Si vous deviez choisir de naître à un moment dans l’histoire, et que vous ne saviez pas à l’avance qui vous alliez être […] si vous deviez choisir à l’aveugle à quel moment vous voudriez vivre, vous choisiriez aujourd’hui. Car le monde n’a jamais été plus riche, mieux instruit, en meilleure santé, moins violent qu’aujourd’hui ».

Par ailleurs, la bonne posture à adopter semble être celle d’un optimisme réaliste ou pragmatique. Des individus qui ont vécu des situations extrêmes comme le psychiatre Viktor Frankl (interné à Auschwitz) ou le militaire américain James Stockdale (prisonnier pendant 8 ans au Vietnam) ont défendu l’idée que seul un optimisme pragmatique (Stockdale) ou tragique (Frankl) pouvait nous permettre de nous sortir de telles situations. C’est ce que le consultant Laurent Mellah a appelé le « paradoxe de Stockdale » : « Espoir (Savoir que l’on va s’en sortir coûte que coûte) + Réalisme (Affronter la réalité et les dangers tels qu’ils sont) ». C’est ce que dit également Clément Fournier à propos du climat : « sur le changement climatique, soyons pessimistes. Préparons-nous au pire, car il arrivera […]. Mais sur notre capacité à changer, soyons optimistes », d’autant que comme l’écrit Jean-Marc Jancovici « l’effort [à produire] a notamment pour conséquence de nous libérer partiellement de l’angoisse d’un avenir sombre face auquel nous sommes impuissants » (Hors-série Pour l’éco, décembre 2019).

Eddy Fougier est le créateur du compte Twitter L’Observatoire du positif. Il analyse depuis plus de 15 ans les tendances et les mutations sociétales et enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence et Audencia.

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