COP28: crédits carbone partout, régulation nulle part, avertissent des ONG

Les annonces sur les crédits carbone se multiplient à la COP28, sans attendre le cadre commun censé réguler cette pratique controversée, qui doit être négocié à Dubaï. Et les ONG sont formelles: le risque de “greenwashing” est à son apogée.

“Une idée nouvelle et audacieuse”: ce sont les mots de l’émissaire américain pour le climat John Kerry lors de la présentation dimanche à la COP organisée par les Émirats arabes unis, de son “accélérateur de transition énergétique” (ETA). Le concept n’est pourtant pas nouveau puisqu’il s’agit de générer des crédits carbone. Un crédit équivaut normalement à une tonne de CO2 absorbée grâce à un projet visant par exemple à éviter la déforestation ou permettant d’installer des technologies de captage du carbone. Dans le cas de l'”accélérateur” américain, un partenariat initié dès la COP27 entre Washington, la fondation Rockefeller et un fonds du patron d’Amazon Jeff Bezos, les projets financés seront concentrés sur la transition énergétique. “Augmentation des capacités d’énergies renouvelables”, “installation de câbles électriques” et même “mise à l’arrêt de centrales à charbon”: les émissions de CO2 “évitées” grâce à ces projets pourront générer des crédits, utilisables par les entreprises et potentiellement les États, pour compenser leur propres émissions.

Amazon, Bank of America, Mastercard, McDonald’s, PepsiCo, Walmart… une dizaine d’entreprises sont sur les rangs pour acheter des crédits issus de projets dans trois pays “pilotes”: le Chili, la République dominicaine et le Nigeria. “Cela pourrait générer des dizaines de milliards de dollars“, a déclaré John Kerry, affirmant que ces crédits seraient “de grande qualité” pas “comme ceux qui ont fait les gros titres“, en référence aux enquêtes publiées ces derniers mois ayant mis en cause l’efficacité de l’immense majorité des crédits carbone déjà en circulation. Cette annonce est “un écran de fumée qui vise à détourner l’attention de la contribution dérisoire des États-Unis à la finance climatique“, a réagi Erika Lennon, avocate pour le Centre du droit international de l’environnement (CIEL). Pour répondre aux critiques, l’administration américaine dit avoir travaillé avec la Banque mondiale pour établir des critères de qualité. Celle-ci a présenté vendredi un plan pour permettre à 15 pays en développement d’accéder d’ici 2028 au marché du carbone grâce à la protection de leur forêt, avec des critères “exigeants”, ce type de projet étant le plus critiqué.

“Déjà vu”

Des centaines d’événements sont dédiés aux crédits carbone à la COP28, avec l’intervention de nombreuses entreprises, qui veulent continuer à acheter des crédits pour annuler, sur leur papier, leur empreinte carbone. Chacun tente ainsi d’établir ses propres règles, ralentissant selon des ONG les négociations pour un cadre commun de régulation. Les négociateurs des États participant à la COP28 doivent en effet se pencher sur l’application de l’article 6 de l’accord de Paris. Adopté en 2015, il donne aux États la possibilité d’entrer sur le marché du carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en “achetant” les efforts réalisés ailleurs. Il prévoit aussi une réforme du marché des crédits carbone… qui patine depuis huit ans et laisse libre cours à des pratiques d’entreprises très critiquées.

Sensation de déjà vu” à Dubaï, avertit le Climate Action Network (CAN), qui regroupe des centaines d’ONG. “Le projet d’accord semble plus susceptible de réduire les ambitions que les émissions de dioxyde de carbone.” Le réseau dénonce le flou des travaux du futur organe de supervision de l’ONU, qui ne créent “pas de garde-fous” suffisants pour éviter le greenwashing et protéger les “droits humains” des populations impliquées. L’adoption de ces méthodologies pourrait toutefois être accélérée par l’impatience d’États souhaitant compenser leurs émissions, pays pétroliers et développés en tête. En face, certains pays en développement en attendent aussi des millions ou des milliards pour financer leur transition.

Vendredi 1er décembre, une dizaine de pays, dont les États-Unis, la France, les Émirats mais aussi la Colombie, le Kenya et le Sénégal, ont appelé à la COP28 à ce que la compensation carbone soit un “complément” à la réduction des émissions, ainsi qu’à plus de transparence et à des normes rigoureuses “pour que ces marchés puissent atteindre leur plein potentiel”. Ce qui impliquerait pour Erika Lennon de renvoyer les futurs superviseurs au travail… jusqu’à la COP29, l’an prochain.

Mathilde DUMAZET (AFP)

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