Pendant une après-midi animée par Sonia Artinian-Fredou, CEO de FIND, chercheurs, entreprises industrielles innovantes, ingénieurs, architectes et acteurs publics ont exploré les voies possibles d’un passage du durable au régénératif.
Repenser la valeur face aux limites planétaires
La keynote d’ouverture de Kateryna Kuzmenko, Responsable Conseil ESG et Développement Durable chez Colliers, a posé le cadre : nous vivons dans un monde qui a déjà franchi la plupart de ses limites planétaires. Dans ce contexte, la régénération ne peut se réduire à une nouvelle itération de la durabilité. Elle insiste sur le fait que régénérer consiste à reconnecter la production aux territoires, à concevoir des systèmes qui restaurent plus qu’ils ne dégradent, et à réinventer la manière dont la chaîne de valeur immobilière et construction définit la performance.
Matériaux : un foisonnement d’innovations, une adoption en marche
La première séquence réunissait Céline Florence, Responsable de la Chaire Ingénierie des Bétons de l’ESTP; Nora Gherbi, Représentante France de Strong by Form, Fondatrice de WHo CAREs !? Chronicles et des Principes d’Intelligence Environnementale; Benoît Gueguen, Directeur Agence Gros Œuvre pour le Groupe Legendre; Jean-Christophe Trassard, Directeur marketing de l’innovation durable chez Ecocem.
Tous constatent la même dynamique : les solutions sont nombreuses — béton bas carbone, microstructures bio-inspirées, terre crue, isolants biosourcés, assemblages hybrides… L’enjeu est désormais de les intégrer dès l’amont, de repenser les responsabilités, d’assumer des cycles courts d’expérimentation et de répliquer plutôt que démontrer au cas par cas.
La transition ne peut toutefois reposer sur la seule technique : elle exige un récit collectif qui redonne du sens à la construction et à son rôle social, ainsi qu’une transformation des pratiques — standards, logistique, formation, assurances.
Ces évolutions ouvrent une perspective claire : la transition est non seulement possible, mais déjà en mouvement.
Industrialiser sans uniformiser : la question centrale du préfabriqué
Le second temps fort de l’événement s’est concentré sur l’industrialisation du secteur. Autour de la table : Sylvain Bogeat, Associé Fondateur de Vestack; Romain Duballet, Chief Product Officer chez XtreeE; Julien Gardan, Responsable de l’équipe de recherche « Technologies pour la construction et le patrimoine » de l’ESTP; et Jonathan Williet, Director EMEA, External Ventures à Nova by Saint-Gobain, membre de Contech France.
Tous s’accordent : la décarbonation du bâtiment passera par des méthodes issues de l’industrie — conception intégrée, fabrication rationalisée, qualité maîtrisée, moins d’erreurs et moins de déplacements. Mais industrialiser ne veut pas dire standardiser : il s’agit surtout de mieux coordonner la chaîne de valeur.
Un message clé ressort : impossible d’industrialiser sans concevoir autrement. La fabrication hors site n’est efficace que si elle est anticipée dès la conception.
Cette transition demande aussi de nouvelles compétences, une réelle collaboration entre ingénieurs et architectes, et un usage du BIM pensé comme un outil, pas une formalité.
Le préfabriqué devient alors un levier puissant de fiabilité et de réduction carbone, à condition d’être soutenu par une logistique et un pilotage adaptés.
Régénérer les territoires : réinvestir l’existant et réinventer les usages
Le troisième volet de l’après-midi s’est inscrit au niveau des territoires, avec Simon Méjane, Fondateur de IMBRIK; Sandra Sitbon, Directrice investissement chez Arizona Asset Management; François Verrecchia, Co-fondateur et CEO de Compagnum; et Julie Vinson, CEO de Sinteo.
Tous constatent la même évidence : il est impossible de régénérer la ville en construisant de manière linéaire. La métropole regorge de mètres carrés vacants, de friches et de zones tertiaires prêtes à une nouvelle vie, alors que la demande d’activités productives de proximité augmente.
La régénération ne passe pas par la reconstruction, mais par la réinvention des usages. Des dizaines de milliers de mètres carrés peuvent être transformés pour accueillir activités productives, culturelles ou artisanales.
Quand startups, artisans et PME cohabitent dans des lieux pensés pour la production, l’immobilier ne devient pas seulement utile : il redevient vivant.
La France face au reste du monde : un retard structurel mais un potentiel unique
Un volet important des échanges a porté sur la comparaison internationale. Romain Duballet et Sylvain Bogeat ont tous deux souligné le décalage entre la France et les pays d’Europe du Nord, où le BIM, le hors site et l’ingénierie collaborative sont devenus des standards.
En France, ces approches restent souvent expérimentales ou cantonnées à des projets pilotes.
Ce retard s’explique par trois facteurs majeurs : la fragmentation de la chaîne de valeur, la réglementation qui peine à évoluer, et un déficit d’investissement privé dans le passage à l’échelle des innovations industrielles.
Pour Sylvain Bogeat, il est indispensable de créer des coalitions industrielles à l’échelle européenne, faute de quoi les innovations françaises risquent de rester bloquées au stade du prototype.
Du débat à l’action : la conclusion d’Erik Grab
En clôture, Erik Grab, Fondateur et Président de IES !, Directeur Général du Fonds de Dotation Solar Impulse et Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale, a rappelé que la transformation du secteur ne se fera jamais entreprise par entreprise. L’enjeu est de construire des écosystèmes capables de coopérer, de partager la valeur, de définir ensemble des visions de long terme et d’apprendre collectivement.
Son appel a résonné comme un fil rouge de l’après-midi : passer du think tank au do tank.
FIND : un modèle qui incarne le passage à l’échelle
Installé au sein du Campus Bahia à Nanterre, immeuble de bureaux de 55 000 m² récemment rénové, FIND a créé le premier Hub Industriel Urbain où une quinzaine d’entreprises industrielles innovantes développent, fabriquent et testent leurs solutions sur 3500 m² d’ateliers.
L’objectif : une réindustrialisation des territoires, plus rapide et régénérative, en transformant des actifs immobiliers sous-utilisés en infrastructures Techtiaire multi-usages.