03/11/2025

Temps de lecture : 6 min

Comment accélérer les Deeptech industrielles pour la transition écologique

FIND Climate a réuni à Nanterre chercheurs, entrepreneurs, investisseurs, industriels et acteurs publics pour une après-midi consacrée à un défi majeur : comment faire passer les Deeptech industrielles à l’échelle afin d’accélérer la transition écologique ?

Le 3 juillet dernier, FIND Climate a réuni à Nanterre chercheurs, entrepreneurs, investisseurs, industriels et acteurs publics pour une après-midi consacrée à un défi majeur : comment faire passer les Deeptech industrielles à l’échelle afin d’accélérer la transition écologique ? Organisé en partenariat avec France Deeptech et Dynergie, l’événement a mis en lumière les freins structurels du scale-up et les leviers d’action concrets pour renforcer la souveraineté technologique et l’impact environnemental des startups. Retour sur un évènement riche d’enseignements.

Un écosystème en pleine accélération

En introduction, Romain Roullois (DG de France Deeptech) a rappelé la mission de France Deeptech : fédérer un écosystème de 300 membres (startups, scale-ups, investisseurs, laboratoires de recherche et industriels) autour de l’innovation technologique.

« Notre rôle est de créer du lien, de défendre l’écosystème auprès des pouvoirs publics et de lui donner les moyens de grandir » – Romain Roullois, Directeur Générale de France Deeptech

Selon lui, nous sommes « à l’aube d’une grande révolution technologique », portée par les défis du climat, de la santé, de la souveraineté et de l’alimentation. La France dispose d’atouts solides : excellence académique, écosystème de financement structuré et près de 3 000 startups Deeptech recensées.

Pourtant, plusieurs défis persistent : financement des phases de croissance (séries C et suivantes), transfert de technologie, commande publique encore trop limitée et contexte macroéconomique complexe. Romain Roullois note toutefois « un alignement inédit entre l’écosystème Deeptech et les politiques publiques ».

Explorer l’inconnu pour inventer l’industrie de demain

Seconde voix à intervenir, Pascal Le Masson, professeur à Mines Paris-PSL, a proposé un regard stratégique de concepteur sur le passage à l’échelle des Deeptech.

Pour lui, la Deeptech est avant tout un mélange de science, de systèmes complexes (multidisciplines, spécialités, écosystèmes) et de généricité (technologies qui n’ont pas qu’une seule application possible). L’enjeu consiste à trouver l’équilibre entre un potentiel applicatif immense et la nécessité de concentrer les efforts pour développer une filière industrielle solide.

Un jeu de probabilités à maîtriser

Pascal Le Masson insiste sur les conséquences financières propres aux Deeptech :

  • Des investissements plus lourds et plus longs, avec un retour sur investissement souvent différé.
  • Une dispersion des résultats considérable, donnant l’impression de jouer à la loterie.

Cependant, la généricité d’une technologie change la donne. Si chaque application a un faible taux de succès, la somme des opportunités augmente la probabilité globale de réussite.

Un scale-up sous tension

Pascal Le Masson souligne le caractère paradoxal de la phase de scale-up : les travaux réalisés avec la direction Deeptech de la BPI montrent qu’au moment même où l’on pense avoir « dérisqué » le projet, il faut encore investir massivement dans une R&D proche de l’industrialisation.

Il pose plusieurs questions critiques :

  • Le product-market fit est-il réellement validé ?
  • La technologie est-elle mature au-delà du prototype ?
  • L’organisation est-elle prête à gérer la dispersion des fonctions et les exigences managériales d’une production à grande échelle ?

L’écosystème comme levier

Pour réussir, les startups Deeptech doivent jouer en équipe, au sein d’un écosystème où la coopération entre startups, incubateurs, industriels et investisseurs devient une condition de survie.

« La Deeptech va devoir faire en sorte que sa technologie transforme les chaînes de valeur, qu’elle devienne indispensable dans diverses applications, tout en restant fortement connectée à son écosystème scientifique et technique » – Pascal Le Masson, professeur aux Mines Paris-PSL.

Stabilisation vs agilité

Le passage à l’échelle Deeptech exige de stabiliser un cœur technique robuste pour assurer la fiabilité et la confiance des investisseurs, tout en restant suffisamment agile pour explorer plusieurs marchés.

À travers les exemples des Start Up Agricool et  Poeitis, Pascal Le Masson a illustré comment ces entreprises ont réussi à concilier la préservation d’un cœur technique et l’agilité. Il introduit ainsi la notion de « patrimoine de création », un socle technologique et organisationnel qui, en se consolidant, augmente la capacité créative et la modularité.

Passer à l’échelle et viser l’international

Cette première table ronde a réuni cinq intervenants :

  • Victoire de Margerie, CEO de Rondol
  • David Hansen, Partner chez Supernova Invest
  • Alexis Riou, Directeur d’investissement chez Crédit Mutuel Innovation
  • Erfane Arwani, CEO de Biomemory

Animés par Florence Caghassi-Jouni (Dynergie), les échanges ont porté sur les conditions nécessaires au passage à l’échelle industrielle, les obstacles techniques, financiers et culturels, ainsi que sur les stratégies pour réussir à l’international.

Les jalons incontournables du passage à l’échelle

David Hansen a souligné que la réussite industrielle ne se limite pas à augmenter les volumes.

« Un prototype n’est pas une usine. Le vrai jalon, c’est quand le process fonctionne en continu, que les coûts de revient sont maîtrisés, et que l’usine peut atteindre l’équilibre financier » – David Hansen, Partner chez Supernova Invest

Alexis Riou a rappelé que l’investisseur ne se contente pas d’apporter du capital.

« Nous apportons un écosystème d’experts et mettons en relation nos dirigeants avec ceux qui ont déjà franchi ces étapes » – Alexis Riou, Directeur d’investissement chez Crédit Mutuel Innovation

Industrialiser en France : un combat culturel et technique

Victoire de Margerie incarne une approche pragmatique et ambitieuse de l’internationalisation. Dès les débuts de Rondol, elle a choisi de s’appuyer sur son expérience internationale (Allemagne, Canada, États-Unis, Japon) et sur une culture de l’exigence industrielle.

« Les premiers clients allemands ont cru en notre technologie. Ils ont investi dès la commande, ce qui a permis de lancer la production et de montrer que nous pouvions livrer » – Victoire de Margerie, CEO de Rondol

Fidèle à cette vision, elle insiste sur l’importance non seulement de viser l’excellence opérationnelle – satisfaire les meilleurs clients, constituer une équipe solide, maîtriser les investissements – mais aussi de bâtir une ambition collective tournée vers la croissance internationale et le soutien aux technologies industrielles de long terme.

Les compétences rares, un enjeu stratégique

Erfane Arwani (Biomemory) a insisté sur l’importance de constituer une équipe expérimentée.

« L’industrialisation ne s’improvise pas. J’ai recruté un directeur industriel avec vingt ans d’expérience aux États-Unis, car je savais que je n’avais pas le niveau pour tout maîtriser » – Erfane Arwani, CEO de Biomemory

Il a expliqué que l’accès à certaines compétences impose parfois de localiser une partie des activités à l’étranger, comme le laboratoire de Biomemory à Cambridge.

L’international comme moteur de croissance

Tous les intervenants s’accordent : l’internationalisation est une nécessité.

  • Victoire de Margerie, CEO de Rondol, a construit son succès initial grâce au soutien d’acteurs étrangers.
  • Erfane Arwani, CEO de Biomemory, souligne que « la chaîne de valeur est mondiale : nous travaillons avec des acteurs au Japon, aux États-Unis, en Belgique. »
  • David Hansen, Partner chez Supernova Invest, distingue deux temporalités : « Se confronter vite au marché international est indispensable, mais l’implantation industrielle à l’étranger doit venir après sécurisation du process. »

Humilité et vision collective

Alexis Riou, Directeur d’investissement chez Crédit Mutuel Innovation, a insisté sur le dialogue constant entre investisseurs et dirigeants :

« Nous aidons à tracer la voie, à ouvrir les bonnes opportunités, et à corriger le cap si nécessaire » – Alexis Riou, Directeur d’investissement chez Crédit Mutuel Innovation

Coopérations, territoires et Europe

Cette deuxième table ronde a réuni :

  • Xavier Baillard, Directeur innovation EIT Manufacturing
  • Pierre-Eric Leibovici, Managing partner chez Daphni
  • Sonia Artinian-Fredou, CEO de FIND Climate et ex-COMEX Michelin et Lafarge

Animés par Florence Caghassi-Jouni (Dynergie), les échanges ont mis en avant les leviers de coopération à l’échelle européenne, le rôle des territoires et les opportunités pour structurer un écosystème de scale-up industriel.

Recherche et brevets : un trésor caché

Pierre-Eric Leibovici a dénoncé la sous-exploitation des brevets français.

« Les grands groupes détiennent des portefeuilles technologiques dormants qui pourraient donner naissance à des startups industrielles », Pierre-Eric Leibovici, Managing partner chez Daphni.

Il constate l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs « qui n’hésitent plus à entreprendre ».

L’Europe, un catalyseur industriel

Xavier Baillard a présenté le rôle de l’EIT Manufacturing, qui mobilise des financements européens et un réseau de plus de 170 membres.

« Notre mission est de transformer des idées en solutions industrielles validées par des pilotes concrets, puis de les connecter aux marchés » – Xavier Baillard, Directeur innovation EIT Manufacturing

Territoires et foncier : ancrer l’innovation

Sonia Artinian-Fredou a souligné l’importance de l’ancrage local et des infrastructures :

« L’ancrage territorial et la responsabilité sociale des industriels sont des leviers essentiels pour créer des plateformes d’innovation » – Sonia Artinian-Fredou, ex-COMEX Michelin et Lafarge

Elle cite l’exemple de Michelin à Clermont-Ferrand, transformant un ancien site industriel en centre européen des matériaux durables.

Coopération transnationale

Les intervenants ont rappelé que l’Europe reste en retard sur les projets transfrontaliers, freinée par les différences fiscales et réglementaires.

« L’échelle européenne est incontournable si nous voulons rivaliser avec les États-Unis et la Chine » – Xavier Baillard, Directeur innovation EIT Manufacturing

Trois priorités collectives

  1. Renforcer les synergies entre grands groupes, startups et fonds.
  2. S’appuyer sur les territoires pour les compétences et infrastructures.
  3. Exploiter pleinement les financements européens (IPCEI, Horizon Europe).

FIND Climate : un lieu industriel au service des Deeptech

Au-delà de cet événement, FIND Climate se positionne comme un véritable catalyseur de passage à l’échelle pour les startups Deeptech industrielles. Installé dans le bâtiment BAHIA à Nanterre, le hub offre 3 500 m² d’ateliers et d’espaces modulables, permettant aux jeunes entreprises d’expérimenter, de prototyper et de lancer leurs premières productions. FIND Climate n’est pas seulement un lieu d’hébergement : c’est un écosystème collaboratif, où la proximité entre startups, experts et partenaires industriels favorise l’innovation et l’industrialisation rapide.

« Notre objectif est, d’ici dix ans, d’avoir contribué à faire émerger 100 nouveaux leaders industriels durables, en déployant ce modèle d’usine urbaine partout en France et en Europe. Selon nos estimations, cela signifie qu’en dix ans, nous devons transformer et recréer 100 000 m² d’espaces industriels selon ce nouveau modèle. Il ne s’agit pas d’une unique grande usine, mais de plusieurs petites unités, conçues pour accompagner les acteurs dans la phase critique du passage à l’échelle – cette fameuse “vallée de la mort” – et leur offrir les conditions nécessaires pour réussir. » – Sonia Artinian-Fredou, CEO de FIND Climate et ex-COMEX Michelin et Lafarge

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Légende photo : Alexis Riou (Crédit Mutuel Innovation), Erfane Arwani (Biomemory), Victoire de Margerie (Rondol), David Hansen (Supernova Invest), Florence Caghassi (Dynergie)

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