23/09/2025

Temps de lecture : 6 min

« Anticiper, c’est ma manière de transformer la communication en levier de transition », Caroline Darmon (groupe Publicis)

Directrice RSE Publicis Groupe en France et co-présidente de la commission RSE de l'AACC, Caroline Darmon défend une vision claire : anticiper, outiller et raconter de nouveaux récits pour faire de la communication un véritable levier de transformation durable.

Chez Publicis, la RSE ne se limite pas à des engagements internes : elle irrigue l’ensemble des offres et des campagnes destinées aux clients. Depuis plus de dix ans, Caroline Darmon porte cette transformation de l’intérieur, en créant dès 2013 un département RSE au sein de Publicis Conseil, puis en développant des outils et des programmes uniques comme No Impact for Big Impact (NIBI). Elle défend une conviction : la création publicitaire, loin d’être incompatible avec les enjeux environnementaux et sociétaux, peut devenir un puissant accélérateur de changement.

Caroline Darmon fait partie des 10 Personnalités RSE Féminines 2025 sélectionnées par la rédaction de The Good (découvrez les 10 Femmes sélectionnées ici : https://urlr.me/u5q3Fj). Le trophée de la Personnalité RSE Féminine 2025 sera remis lors du Gala des Femmes Inspirantes, organisé par The Good, aux Salons Hoche, le 14 octobre prochain. (Pour en savoir plus cliquez ici: https://urlr.me/jMS53d).

The Good : Votre “obsession”, dites-vous, c’est d’anticiper. Comment cela se traduit-il concrètement chez Publicis ?

Caroline Darmon : C’est en effet mon obsession depuis le début quand j’ai poussé la porte d’Arthur Sadoun en 2013 pour lui proposer de monter un département RSE à l’époque chez Publicis Conseil. Je veux que nous ayons toujours un coup d’avance : d’abord pour embarquer et transformer nos agences, mais surtout nos clients. Publicis est encore trop souvent réduit à la “publicité” au mieux à la « communication », alors que nous sommes un groupe de transformation marketing et digitale. Cette position nous donne un rôle d’influence : aider de très grandes marques à faire évoluer leurs offres et leurs modèles, pas seulement leurs campagnes.

C’est d’ailleurs une des particularités de notre secteur : nos engagements RSE concernent bien sûr notre propre modèle, nos propres agences… mais quelque part c’est devenu notre dette et avec de belles réussites (une trajectoire climat et des objectifs validés par SBTi dès 2020, n°1 du secteur en matière d’ESG depuis 5 ans par les principales agences de notation…). Notre Responsabilité première désormais réside dans l’accompagnement de nos clients dans leur propre transformation à travers l’ensemble des actions que nous faisons ensemble.

Cette dynamique est aussi celle que je porte collectivement notamment via la Commission RSE de l’AACC, pour partager, aligner et essayer d’élever le niveau de tout l’écosystème.

The Good : Des exemples où Publicis a clairement accéléré une transformation côté client ?

Caroline Darmon : De nombreux, sur la durée et en partant de la base de notre métier : l’insight consommateur. Plug Inn pour Renault, par exemple : face aux freins de l’électrique, l’idée a été de créer le “Airbnb de la recharge” pour lever le verrou de l’infrastructure et en faire un argument de vente. Côté social, AXA a intégré « en cas de violences conjugales » aux garanties de relogement au sein des contrats d’assurance habitation : on lève un frein réel pour les femmes victimes. Autre levier comportemental : les “Avis de longue durée” de Darty qui mesurent la satisfaction après usage, pas seulement à J+7.

Enfin, un autre exemple que j’aime beaucoup Orange qui a fait de son programme Re sur la seconde vie des mobiles (reconditionné, réparation, reprise, recyclage) un axe majeur — jusqu’au film TV de Noël et une part de voix dédiée aujourd’hui de plus de 50%. Ce sont des preuves qui vivent, qui transforment les comportements d’achats, qui transforment le business, pas des one-shot.

The Good : Dans un contexte de crise, les directions exigent des chiffres. Comment articulez-vous “RSE” et performance extra-financière (CSRD, etc.) ?

Caroline Darmon :  C’est l’étape actuelle : parler donnéespreuvesindicateurs qui font le lien explicitement entre responsabilité et business et ne laissent pas les engagements RSE à côté, déconnectés de la viabilité de l’entreprise. La CSRD a accéléré la professionnalisation. Nous avons toujours argumenté avec des études, des faits ; désormais, les référentiels extra-financiers deviennent progressivement langage commun avec nos clients.

Dans ce cadre, j’ai aussi exploré la triple comptabilité avec Alexandre Rambaud et la méthode Care : stimulant intellectuellement, mais je pense malheureusement encore trop tôt opérationnellement dans beaucoup d’organisations. Il faut viser l’ambition, sans perdre de vue la capacité d’exécution sinon tout le monde décroche. Mais il est clair que c’est l’étape d’après.

The Good : Vous avez formé vos équipes très tôt. Où en est la transformation des métiers ?

Caroline Darmon :  Dès 2018, nous avons commencé par des formations à la communication responsable plutôt axées sur les agences créatives et de production (éco-socio-conception / production, lutte contre le greenwashing, meilleure représentation de la diversité & inclusion…). En 2021, nous avons lancé un e-learning obligatoire pour tous nos métiers (8 modules dont médias, influence, numérique responsable, IA & data), conçu avec des partenaires référents. La formation est accessibilisée et permet une surprime à l’intéressement pour tous les collaborateurs via un KPI dédié.

Nous la proposons aussi aux clients (Renault, BNP Paribas, Mondelez, JCDecaux…) qui ont compris l’importance de parler « le même langage » pour accélérer cette transformation ensemble. Cette formation est la 1ère étape de No Impact for Big Impact (NIBI) initié dès 2017 qui est le programme d’Eco-Socio Communication de Publicis France encore unique aujourd’hui sur le marché pour accompagner nos clients dans leur transition.

The Good : Comment gardez-vous l’élan en interne (5 000 collaborateurs en France) ?

Caroline Darmon : On ne les lâche pas !  Croire que ce e-learning obligatoire et NIBI suffisent pour se transformer, c’est illusoire ! Toute l’année nous leur proposons des rendez-vous inspirants avec des partenaires et experts (Ademe, Imagine 2050, casting inclusif…), des interviews de change makers, des tables rondes thématiques, des outils… et des journées “Positive” qui libèrent du temps pour se former et passer à l’action. Pour cela on s’appuie sur notre communauté de +60 ambassadeurs RSE au sein des +30 entités qui font un travail formidable d’acculturation et de mise en action.

Mais la clé derrière tout cela, c’est que de plus en plus nous standardisons par défaut : un site est éco-conçu chez Razorfish, un événement est pensé en eco-socio-production chez Publicis Live, et on challenge systématiquement les tournages (local, train, équipes resserrées…) chez Prodigious qui prône le label EcoProd chez nos clients. On n’est pas dans l’exception, on change la norme.

The Good : Vous insistez sur les “nouveaux récits”. À quoi ressemblent-ils concrètement ?

Caroline Darmon : Comme l’a si bien dit Sir David Attenborough “Saving our planet
is now a communications challenge.” Aujourd’hui on sait quoi faire. Ce dont nous avons besoin, c’est de raconter des histoires qui donnent envie à tout le monde d’y aller. C’est un rôle important qu’on partage avec les médias, le cinéma, les séries… puisque nous produisons de la culture populaire, nous participons à la construction des imaginaires collectifs,des représentations auxquelles on s’identifie, des modèles de société dans lesquels on se projette. Notre challenge aujourd’hui est de vendre une société plus modérée, plus raisonnable, plus responsable en rendant désirables les nouveaux récits et changeant positivement les mentalités et comportements. Et cela fonctionne dans la répétition pour tous les briefs via la pédagogie clandestine ou invisible qui est le minimum syndical indolorepour toutes les marques. Par exemple une scène de cuisine peut montrer du vrac, du verre consigné, la lumière du jour, sans totemiser la vertu. Et pour les projets de marques plus défricheuses, aujourd’hui il s’agit d’aller plus loin avec des nouveaux récits qui les engagent par rapport aux changements sociétaux et environnementaux et qui aident à faire une vraie bascule, à changer les normes. C’est par exemple la seconde main qui est passée de la gêne à la fierté.

Par ailleurs, le travail qu’on fait en pro bono avec certaines associations contribue également à installer des réflexes durables dans le quotidien comme notre campagne pour HOP Halte à l’Obsolescence Programmé et le bonus réparation.


 The Good : Vous avez lancé des outils IA “responsables”. Quel est le but ?

Caroline Darmon :  Gagner en exigence, en temps utile et continuer à former nos collaborateurs et clients.

Nous avons pour l’instant développé 2 outils  :
• Anti-Greenwashing AI : un assistant  fondé sur les 9 recommandations de l’ARPP (référées au code de l’ICC, reconnues par beaucoup d’experts comme les plus exigeantes) et testé avec des parties prenantes. Il pré-qualifie posts, scripts, sites, rapports, CP… et fluidifie les échanges avec l’ARPP, sans s’y substituer.
• Positive Representations AI : un sparring partner pour améliorer la représentation de la diversité et des comportements responsables (mobilité, habitat, alimentation, réussite, bonheur…) – la fameuse pédagogie invisible – dans tous les supports.
Très important à noter, on se donne comme ligne de conduite avant tout développement de s’assurer que le bénéfice dépasse l’empreinte de l’outil que l’on mesure via e-footprint (outil en open source by Publicis Sapient). L’idée n’est pas de faire de la tech pour la tech, mais d’outiller la qualité créative et la conformité en conscience des impacts environnementaux mais aussi sociaux et sociétaux que l’IA a.

The Good : Et à l’international ?

Caroline Darmon : Nous sommes très fiers car le programme NIBI est désormais porté au niveau du Groupe par notre Chief Impact Officer, Nannette Lafond-Dufour et un réseau d’ambassadeurs par pays. Nous avons lancé un kick-off mondial fin juin et commençons à déployer chez les clients hors de France. L’objectif : cohérence globaleadaptation locale.

The Good : Vos priorités pour 2025–2026 ?

Caroline Darmon : (1) Bien sûr continuer d’anticiper, de co-construire en amont des offres plus sobres avec nos clients et de fabriquer des imaginaires qui rendent désirables des comportements compatibles avec les limites planétaires.
(2)
 Industrialiser les standards responsables (outils, formations, process) pour que la qualité RSE soit le par défaut du métier.
(3) Coaliser l’écosystème via l’AACC et des partenaires référents comme l’Ademe, l’UDM, l’ARPP… pour élever collectivement la barre face au soi-disant backlash (plus un plateau comme l’explique si bien Parlons Climat) qu’il faut dépasser pour remobiliser différemment.

La création n’est pas l’ennemie de la responsabilité : elle en est le meilleur accélérateur.

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Caroline Darmon fait partie des 10 Personnalités RSE Féminines 2025 sélectionnées par la rédaction de The Good. Le trophée de la Personnalité RSE Féminine 2025 sera remis lors du Gala des Femmes Inspirantes, organisé par The Good, aux Salons Hoche, le 14 octobre prochain.

Si vous souhaitez réserver une table de 10 convives pour assister au dîner et communiquer sur vos engagements et valoriser une ou plusieurs personnalités féminines de votre entreprise et parties prenantes, cliquez ici : https://urlr.me/jMS53d.

Pour voter pour LA Personnalité RSE Féminine 2025 c’est ici : https://urlr.me/JW8gqe

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