Le 9 septembre 2025, l’Union européenne a franchi un cap majeur en révisant la directive-cadre « Déchets » (2008/98/CE). Désormais, les États membres devront atteindre -30 % de gaspillage alimentaire d’ici 2030 dans la distribution, la restauration et les ménages, tout en renforçant la responsabilité des producteurs du secteur textile.
Pour Comerso, qui a déjà sauvé 130 000 tonnes de marchandises en 2024, généré 300 millions d’euros d’économies et travaillé avec plus de 6 400 associations, cette avancée réglementaire confirme une conviction : c’est bien l’alliance entre innovation technologique, process logistiques repensés, culture d’entreprise et cadre législatif qui permettra de réduire durablement le gaspillage. Explications par Pierre-Yves Pasquier, président de Comerso.
The Good : Quelles innovations permettent aujourd’hui de booster l’efficacité de la lutte contre le gaspillage ?
Pour être réellement efficace, l’innovation anti-gaspi doit s’appuyer sur plusieurs leviers : humain, organisationnel, digital et réglementaire. Les technologies de data et d’intelligence artificielle vont globalement permettre d’anticiper les besoins et d’ajuster en temps réel la production ou les commandes, tandis que les plateformes (BtoC ou BtoB) facilitent les connexions entre acteurs et facilitent ainsi la valorisation des invendus (via de la revente ou des dons aux associations). Mais le levier n’est pas que numérique : repenser les process logistiques, intégrer le don (alimentaire et non-alimentaire) comme étape prioritaire et structurée, professionnaliser la redistribution avec des solutions comme celles de Comerso, ou encore former et sensibiliser les équipes sont autant de clés pour transformer durablement les pratiques. C’est bien l’articulation entre technologie, process et culture qui permet de faire reculer le gaspillage.
The Good : Quelle place occupe la technologie dans cette transformation ?
L’analyse de données et l’intelligence artificielle (qui n’en est qu’à ses débuts) sont des leviers majeurs pour anticiper et piloter la lutte contre le gaspillage. En exploitant les historiques de ventes et en intégrant des facteurs contextuels (météo, événements, tendances de consommation), les algorithmes permettent d’ajuster en temps réel la production, les commandes et les prix. Cette approche rend la chaîne d’approvisionnement plus réactive et transforme chaque donnée en opportunité d’amélioration continue.
Côté consommateurs, les applications mobiles et plateformes collaboratives facilitent la revente ou le rachat à prix réduit de produits invendus : plus d’un Français sur trois utilise déjà ces solutions, ce qui a permis de sauver des dizaines de millions de repas.
The Good : Comment les entreprises doivent-elles repenser leurs process pour réduire le gaspillage ?
Le gaspillage recule aussi grâce à des processus repensés dans les entreprises. Cela implique d’intégrer le don alimentaire comme une étape structurée des flux logistiques, de standardiser les protocoles de collecte et de redistribution, et de créer de nouvelles synergies entre acteurs de la chaîne (distributeurs, associations, logisticiens). La solution proposée par Comerso permet de professionnaliser et digitaliser ces processus, garantissant une redistribution rapide, traçable et conforme.
The Good : Le facteur humain est-il aussi déterminant que la technologie ?
L’innovation ne se limite pas à la technologie : elle doit casser le réflexe du « on a toujours fait comme ça ». Cela passe par de nouvelles pratiques dans les magasins, les usines ou les cuisines : trier, valoriser, donner plutôt que jeter. Former les équipes, sensibiliser les consommateurs et engager des « ambassadeurs anti-gaspi » sont autant de leviers pour changer durablement les comportements. L’innovation doit donc aussi se situer dans les cultures d’entreprises, pour se refléter dans les pratiques, car la lutte contre le gaspillage est une lutte du quotidien.
The Good : Quels nouveaux modèles de circularité voyez-vous émerger ?
L’innovation réside aussi dans les nouveaux modèles de circularité. Upcycling des sous-produits alimentaires, recyclage textile via des filières « textile-to-textile », explosion de la seconde main et des services de location : ces pratiques prolongent la durée de vie des produits et transforment les déchets en ressources. Combinées aux outils numériques qui fluidifient le partage et la revente, elles permettent de boucler la boucle et d’ancrer l’économie circulaire au cœur des filières.
The Good : Quel rôle joue le cadre réglementaire européen dans cette dynamique ?
La France et l’Espagne font figure de pionnières en Europe en matière de législation anti-gaspillage. Leurs avancées – qu’il s’agisse du don obligatoire des invendus alimentaires en France ou de la récente loi espagnole contre le gaspillage – constituent des modèles concrets. La nouvelle directive européenne s’inscrit dans cette dynamique : elle vise à accélérer la généralisation de ces bonnes pratiques et à harmoniser les efforts pour renforcer la lutte contre le gaspillage à l’échelle de l’Union.