Sylvain Breuzard (créateur de la Permaentreprise) : les entreprises restent les mieux placées pour bouger les lignes

Convaincu que les entreprises sont une force puissante au service du changement, Sylvain Breuzard, entrepreneur engagé, a créé un nouveau modèle de développement : la Permaentreprise. Une méthode inspirée de la permaculture, pragmatique, qui forme un chemin pour les entrepreneurs qui veulent agir. Une vision holistique, nourrie par les multiples casquettes de Sylvain Breuzard, Fondateur de Norsys, Président de Greenpeace France et co-créateur et Président du Réseau étincelle, association qui aide les décrocheurs à devenir entrepreneurs de leur vie.

The Good : Comment est née cette idée de transposer le modèle de la permaculture à l’entreprise ?

Sylvain Breuzard : C’est une idée qui m’est venue en 2019. Par mes différentes activités, je mesure alors à quel point ce que les entreprises ont fait de la RSE s’avère insatisfaisant, largement insuffisant. En 20 ans, le monde s’est dégradé, sur le plan social comme sur le plan de la planète. Malgré tout, les entreprises restent les mieux placées pour bouger les lignes. J’ai réuni un groupe de travail au sein de mon entreprise, pour plancher sur ce que l’on pouvait faire vis-à-vis de la planète, de nos engagements environnementaux, et c’est à eux que j’ai soufflé le sujet de la permaculture.

La permaculture c’est une philosophie de vie qui dépasse très largement le fait de savoir cultiver. L’objectif des fondateurs de la permaculture est de rendre la terre habitable pour tous. « Habitable », cela dépasse le fait de s’alimenter correctement.

La permaculture repose sur 3 principes éthiques : prendre soin des hommes, prendre soin du sol, et fixer des limites à la consommation et redistribuer les surplus. La permaculture c’est aussi 12 principes de conception : l’observation des énergies renouvelables, la non-production de déchets, avoir une vision globale, faire de la diversité une richesse, etc… Les Fondateurs de la permaculture étaient des visionnaires il y a 40 ans !

J’ai testé pendant quelques mois ces principes et ces concepts dans le milieu de l’entreprise. Par exemple la régénération des ressources – comment je fais en sorte que la terre utilisée ressorte dans le même état voire meilleur après utilisation ; ou encore la recherche du meilleur agencement des écosystèmes. Au bout de ce travail je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose. J’ai profité de la période du Covid pour transposer tout cela dans une méthode, en reformulant légèrement les principes éthiques.  

Ainsi, dans le modèle, tout ce qui touche au développement de l’entreprise va être en prise constante avec les 3 principes, qui sont indissociables – mon autre conviction étant que la RSE déçoit parce qu’elle est rarement appréhendée de manière globale.

TG : Vous êtes un dirigeant engagé depuis longtemps, mais Norsys n’est pas une entreprise « impact native ». A quel moment avez-vous pris conscience de la nécessité de faire évoluer le modèle de votre entreprise ?

SB : Norsys a été créée en 1994. Comme beaucoup d’entrepreneurs à l’époque j’avais juste en tête de signer des affaires, recruter, manager. Le moment clé c’est les 35 heures de Martine Aubry. A l’époque, tout le monde hurlait, patronat, syndicats, salariés qui y voyaient plein d’inconvénients. Je me suis demandé comment en faire une opportunité, et réfléchir à ce qui allait se passer dans les années futures, comme la complexification de la vie dans les métropoles. Nous avons fait un accord de 35h qui offrait 47 jours de congés + RTT aux salariés, qui reste anachronique dans le monde des ESN. Cela m’a poussé à réfléchir à l’équilibre entre l’économique et le volet social. La sensibilité environnementale est arrivée dans la foulée. En 2003, c’est l’explosion de la bulle internet. Alors que beaucoup de nos concurrents ont souffert, nous on a fait de la croissance. Nous avions créé un cercle vertueux, avec moins d’absentéisme que les autres, et moins de turn-over.

TG : Le modèle de l’entreprise est-il applicable par toutes les entreprises ?

SB : Certains secteurs auront des chemins plus longs à faire que d’autres. Certains devront même remettre en cause complètement leur modèle. Pour moi le point clé c’est l’adhésion des actionnaires, quels que soient les secteurs. Si les actionnaires sont dans la maximisation du profit et du résultat, ce n’est pas la peine d’essayer.

J’avais à cœur de tester le modèle dans d’autres entreprises, qui ont d’autres profils, une autre taille. Norsys compte 600 collaborateurs. Nous l’avons dupliqué dans des entreprises de 10, 30, 200 personnes. Je pense à Serda, spécialisé dans la dématérialisation de la documentation, ou à Nuageo, un cabinet de conseil spécialisé dans le Cloud Computing. Les premiers retours sont encourageants, une DRH me disait récemment « c’est incroyable l’énergie qui a émergé ». C’est parce que la méthode est faite pour bâtir « avec » et non à côté ou d’en haut.

Ce qui est intéressant aussi c’est qu’en déroulant la méthode, ils aboutissent à un projet, avec leur raison d’être, leurs enjeux moyen-long terme, des actions à mener, des objectifs à atteindre. A la fin, entre la méthode et les objectifs que l’entreprise se fixe, cette dernière obtient son propre référentiel. Vous n’avez alors plus besoin de référentiel RSE formaté qui vient d’ailleurs. Cela devient un outil de pilotage. Et quand vous aurez envie d’être B Corp ou Société à mission, vous aurez déjà fait une grande partie du chemin ! Avec le modèle perma on est des facilitateurs, pas des concurrents de B Corp ou de la Société à mission.

TG : Comment faire pour passer le modèle de la Permaentreprise à l’échelle, comment convaincre les autres de l’adopter ?

J’ai commencé par aller voir les réseaux sensibles aux constats que j’avais pu faire. Je suis allé voir le Centre des Jeunes Dirigeants, dont l’objectif est de mettre l’économie au service de l’homme, Entrepreneurs d’avenirs, Dirigeants Responsables de l’Ouest. J’ai essayé d’y convaincre certaines entreprises d’expérimenter, cela n’a pas été trop difficile, le modèle a été très bien accueilli. Ce qui les intéresse c’est qu’il s’agit d’un modèle de développement d’entreprise, un modèle de croissance juste qui repose sur les 3 principes éthiques. Certaines entreprises m’ont sollicité pour présenter la Permaentreprise à leurs salariés. J’interviens aussi dans des cursus de formation de dirigeants. J’ai dû faire 70 conférences en 4-5 mois.

Mais je ne peux me satisfaire d’être seulement inspirant, ou « régénérant ». Mon objectif c’est de faire. On a décidé de créer l’école de la Permaentreprise, pour former des personnes en entreprise et des cabinets de conseil / des consultants RSE, afin de mettre en pratique la Permaentreprise et ne pas l’édulcorer. Nous travaillons aussi avec des grandes écoles pour intégrer des cursus de formation de dirigeants ou d’étudiants.

TG : Quelles actions alignées avec la « Perma » avez-vous mises en place chez Norsys ?

SB : Nous avons créé notre panel démocratique, pour répondre à un de nos enjeux : faire en sorte que nos collaborateurs puissent influencer l’évolution de l’entreprise. Plutôt que de solliciter tous nos salariés régulièrement, sur des idées, des projets, etc… alors qu’ils ne sont pas intéressés, ou qu’ils sont chez des clients, nous leur demandons chaque année s’ils veulent faire partie du panel et s’engager alors à répondre, sous une semaine, aux sollicitations ponctuelles. Ce dispositif amène de la démocratie dans l’entreprise, de manière complètement libre.

En matière de fixation de limites et de prendre soin de la planète, nous avons par exemple voté avec tous les salariés en 2020 de ne plus prendre l’avion quand une autre solution de déplacement existe pour un trajet de moins de 6 heures. Nous avons aussi pris l’engagement de ne rien commander sur Amazon. Ou de ne rien se faire livrer dans l’entreprise.

Et nous venons de lancer notre propre Convention citoyenne dans l’entreprise !

TG : Comment gère-t-on ses engagements écologiques quand on est une ESN, à l’heure où l’on parle beaucoup des enjeux de sobriété numérique ?

SB : Pour que le monde aille mieux, il faut admettre qu’il y ait une période de transition ; l’enjeu c’est qu’elle soit la plus courte possible. Le numérique lui aussi s’inscrit là-dedans. Il faut accepter qu’il y ait une période de transition, de continuer à générer des émissions, si l’on sait où l’on va pour en générer beaucoup moins demain.

Je me raccroche à nouveau à mes principes éthiques. Est-ce que ce que l’on fait est aligné sur nos 3 principes éthiques, ou non ? Nous faisons des choix en fonction de cet alignement. Si cela doit soigner des gens mais que cela génère des GES, on fonce car on est sur un principe éthique fort. Cela peut nous amener à renoncer à un client, à une technologie. Nous nous sommes dotés d’un conseil d’éthique, composé de collaborateurs et de personnes qualifiées externes, et que tout le monde en interne peut saisir.

Nous avons également développé pour nos collaborateurs un bilan carbone professionnel individualisé, pour les aider à mieux visualiser leurs impacts. C’est une sensibilisation dans l’action. Car notre enjeu est bien de réduire les émissions, pas de les compenser.

Enfin, nous investissons également sur l’écoconception des logiciels. Les quelques gains d’énergie faits sur un logiciel utilisé par des milliers ou des millions de personnes, ce sont finalement des gains d’énergie conséquents.

« La Permaentreprise. Un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture », par Sylvain Breuzard. Le livre est publié aux Editions Eyrolles. Il est illustré par Etienne Appert.

Emilie Thiry
Emilie Thiry
Ex publicitaire reconvertie dans la communication corporate en 2011, puis dans la politique en 2015, Emilie est depuis juillet 2020 en charge du consulting et de la diversification des offres d’INfluencia. Elle dirige à ce titre The Good, la plateforme dédiée à la transformation écologique, sociale et solidaire des entreprises et des marques. Elle anime également un séminaire sur le monde de la communication en Master 2 Conseil éditorial à Sorbonne Université. Emilie est diplomée de l’IEP de Strasbourg et ancienne élève du CELSA.

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