Mesurer son empreinte écologique. Plus facile à dire qu’à faire ?

Des outils en nombre, des résultats qui varient de 1 à 10 en fonction des calculettes utilisées, des abus non punis… La mesure du bilan carbone des campagnes de communication ressemble à un véritable sac de nœuds. Cette anarchie toutefois ne va pas durer. Les clients, le public et le législateur veulent y voir plus clair. Les professionnels du secteur sont prévenus…

Elles ont longtemps préféré reculer plutôt que de sauter. « Les entreprises de la com et de la pub ont été parmi les dernières à ne pas se fixer de trajectoire carbone et à ne pas s’être mises sur les rangs pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris, regrette Gildas Bonnel, le fondateur de Sidièse, une agence de conseil en communication spécialisée sur la RSE. Nos métiers qui sont un peu hors sol comparés aux groupes industriels et notre secteur très éclaté qui est composé d’une galaxie de PME expliquent notre retard mais nous avons depuis été rattrapés par la patrouille. Le marché, les annonceurs et les citoyens nous demandent aujourd’hui de participer à l’effort de réduction de l’empreinte écologique et ces attentes ne vont cesser de croître dans les années à venir. » Mais avant de pouvoir réduire ses impacts, encore faut-il être capable de les mesurer précisément ?

Depuis plusieurs années, l’anarchie la plus complète règne dans ce secteur. De nombreux acteurs ont lancé leur calculette sans se demander ce que faisait la concurrence. «Aujourd’hui si vous calculez le bilan carbone d’un projet, vous pouvez obtenir un résultat allant de 1 à…10 en fonction des outils que vous utilisez », constate Mathieu Delahousse, le co-fondateur et président de Secoya, une agence de conseil en éco-responsabiité pour le secteur audiovisuel. Les principaux acteurs de la profession ont été les premiers à mesurer leurs impacts. « Nous avons développé avec Veritas notre calculette carbone en 2018 car il n’existait pas d’outil disponible sur le marché », explique Caroline Darmon, la directrice RSE de Publicis. Prisma a commencé à estimer son empreinte carbone la même année mais « depuis mars 2021, nous avons mis au point un outil qui permet de calculer les émissions de chacune de nos campagnes publicitaires sur le print et le digital », explique Stéphanie Bertrand-Tassilly, la directrice RSE de Prisma Media. BETC utilise, pour sa part, l’outil « Perform » du groupe Vivendi. D’autres solutions existent sur le marché. « Beaucoup de start-up opportunistes apparaissent pour proposer des instruments de mesure », constate Valérie Richard, la responsable RSE de BETC. Certains sont disponibles sur la Toile. Fondée en 2009, l’association Ecoprod, qui a pour ambition de fédérer tous les acteurs de l’audiovisuel en les engageant dans des pratiques environnementales vertueuses, a créé en 2010 le tout premier calculateur d’empreinte carbone dédié aux productions audiovisuelles. « A ce jour, Carbon’Clap a permis de faire 1 500 bilans carbone, se réjouit Pervenche Beurier, la déléguée générale d’Ecoprod. 40% des calculs ont été faits par des agences de publicités. » D’autres outils en ligne existent sur le marché. Le Seco2, développé par Secoya, permet de réaliser une estimation carbone gratuite des productions audiovisuelles. L’association professionnelle AACC vient, pour sa part, de lancer en collaboration avec EY un instrument de calcul carbone en libre accès pour les agences-conseils en communication. « Cet outil est destiné à être un référentiel pour toutes les entreprises de notre secteur, juge Gildas Bonnel qui préside également la commission RSE de l’AACC. Jusqu’à maintenant, chacun faisait ses évaluations dans son coin et personne ne regardait le petit copain d’à côté. Aujourd’hui, il est primordial de pouvoir comparer les agences, les médias et les supports les uns avec les autres. » Les calculettes disponibles sur la Toile ne sont toutefois pas une panacée. « Les outils en ligne gratuits ont surtout un caractère informatif, prévient David Irle, le fondateur d’Aladir Conseil qui se définit comme un éco-conseiller du secteur culturel et événementiel. Pour avoir une idée précise et réelle de ses impacts, il est préférable de passer par un cabinet spécialisé. » Encore faut-il savoir ce que l’on souhaite mesurer…

« Il faut séparer le calcul de la calculatrice, résume Cédric Lejeune, le créateur de Workflowers, une agence qui accompagne la transition des acteurs de l’audiovisuel et du numérique vers des modèles d’affaires plus durables. Si vous prenez une Casio ou une Texas Instrument, 1+1 fera toujours 2. L’important n’est pas la calculette dont vous vous servez mais de standardiser la méthodologie pour mesurer ses impacts. » Stéphanie Bertrand-Tassilly ne dit rien d’autre lorsqu’elle affirme qu’il faut que tous les acteurs du secteur « harmonisent leurs KPIs afin de partir sur les mêmes bases de travail ». « Il existe aujourd’hui trop de calculettes et de méthodes différentes, renchérit Caroline Darmon de Publicis. Il faut comparer des choux avec des choux et pas avec des carottes… » Pervenche Beurier pense, elle aussi, que « la question de l’harmonisation est centrale car aucune décision politique et réglementaire ne peut être prise sans données fiables ».

L’important n’est pas la calculette dont vous vous servez mais de standardiser la méthodologie pour mesurer ses impacts.

Certaines agences se contentent de calculer leur Scope 1 et 2, soit leurs émissions directes de gaz à effet de serre et leur émissions indirectes liées à l’énergie mais leurs réels impacts sont surtout ceux de Scope 3 qui prennent en compte toutes les émissions indirectes c’est-à-dire celles aussi de leurs clients. Se contenter de mesurer son bilan carbone n’est, de surcroît, pas suffisant pour définir son réel impact environnemental. L’analyse du cycle de vie (ACV) est plus complète car elle permet de calculer la totalité de l’empreinte environnementale d’un produit ou d’un projet, de sa conception à sa fin de vie. Compliqué, vous avez dit compliqué ?

Beaucoup montrent du doigt la complexité de ces modèles pour contester leur véracité. Ces critiques ne sont toutefois pas dénuées d’arrière-pensées. « De nombreuses structures découvrent en lisant leur bilan que leurs résultats ne leur conviennent pas, remarque David Irle. Elles tentent alors de cacher la vérité sous le tapis en faisant des comparaisons trompeuses. Les organisateurs des JO de Paris en 2024 promettent ainsi de réduire leurs émissions par rapport aux JO de Rio mais cette édition avait été une des pires en matière environnementale. »

Les réticences de certaines entreprises à mesurer leurs impacts sont aussi liées à des histoires de gros sous car de tels projets coûtent cher. « Il faut compter au moins 10 000 à 15 000 euros pour faire un bilan carbone avec un professionnel et la note peut monter à 40 000 ou 50 000 euros pour une ACV », estime le fondateur d’Aladir Conseil. Une telle addition peut s’avérer très salée pour une petite structure. « Quand ces certifications deviendront obligatoires pour tous, qui va payer la note ? », s’interroge Pervenche Beurier. Cette question est importante car il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que ces bilans ne seront bientôt plus un « plus » mais un « must » dans les appels d’offres des marques, des annonceurs et des producteurs. Ce processus a déjà été enclenché.

il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que ces bilans ne seront bientôt plus un « plus » mais un « must » dans les appels d’offres des marques, des annonceurs et des producteurs.

« Le Centre national du cinéma et de l’image animée a annoncé qu’elle ne financera plus à partir de 2023 d’œuvres sans bilan carbone, se félicite la déléguée générale d’Ecoprod. Cette obligation ne concerne pas encore la publicité mais l’UE prépare actuellement un règlement sur la question. » Les clients des agences sont aussi de plus en plus nombreux à exiger de leurs agences qu’elles leur fournissent un bilan environnemental précis de leurs productions communes.

Aujourd’hui, la mesure de l’empreinte écologique des agences spécialisées dans la com, le marketing et la publicité ressemblent encore à une jungle. Ils existent trop d’outils et leurs bases de calcul ne sont pas assez similaires. Mais il y a pire : une société qui truque ses impacts environnementaux n’encourt aucune peine actuellement. « Mentir ne vous fait prendre aucun risque juridique, regrette David Irle. Vous pouvez raconter absolument n’importe quoi sur le plan écologique sans être condamné à quoi que ce soit. Aucune loi ni jurisprudence ne pénalisent l’éco-blanchiment. Conséquence : la communication des entreprises est majoritairement trompeuse de nos jours. » Il ne fait toutefois aucun doute que ce vide juridique sera prochainement comblé. En attendant, les professionnels du secteur disposent encore d’une petite fenêtre pour se mettre aux normes et mesurer leurs impacts écologiques. Mais le temps presse…

Cet article est extrait du hors-série The Good intitulé “Désirs d’avenir : comment la communication, le marketing et les médias se mettent au service d’un futur durable désirable”

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