Les constructeurs allemands envoûtés par la Fée électricité

Après avoir tout misé sur les moteurs thermiques, les marques allemandes investissent des milliards d’euros pour lancer toujours plus de modèles 100% électriques. VW et Mercedes suivent les stratégies les plus radicales alors que BMW fait preuve de davantage de prudence. L’enjeu pour ces groupes et pour l’ensemble de l’Allemagne est énorme…

Le virage est brutal. Pendant de nombreuses années, les constructeurs allemands ont refusé de voir le mur qui leur barrait la route. Au volant de leurs berlines surpuissantes aussi gourmandes en carburant que « généreuses » en gaz nocifs, ils ont roulé, pied au plancher, sur l’autobahn des supers bénéfices en sortant des modèles toujours plus lourds et puissants. Leurs chercheurs inventaient sans cesse des technologies pour limiter les émissions des moteurs thermiques et lorsque la législation devenait trop stricte, des « astuces » étaient trouvées pour passer les tests sans forcément respecter la loi. Le Dieselgate, les exigences réglementaires et les nouvelles attentes des consommateurs ont donné un coup d’arrêt brutal à cette « belle histoire ». Les marques rhénanes doivent aujourd’hui s’électriser à marche forcée.

Volkswagen compte ainsi vendre 50% de voitures rechargeables d’ici 2030 et « presque 100% » en 2040. Daimler prévoit, lui, de devenir entièrement électrique d’ici 8 ans. Seul BMW souffle encore le chaud et le froid dans ce domaine. Le président de son conseil d’administration, Oliver Zipse, répète sans cesse qu’il reste « ouvert à toutes les formes de motorisation ». « Les 140 pays où nous sommes présents n’évoluent pas à la même vitesse, nous expliquait récemment Ilka Horstmeier, la directrice des ressources humaines du groupe. Certains marchés prévoient d’aller beaucoup plus loin, d’autres moins. Nous souhaitons rester flexibles pour pouvoir répondre aux attentes et aux demandes de tous nos clients. » Cette stratégie n’est pas sans risque.

« BMW est très réticent à bouleverser sa stratégie, juge Ferdinand Dudenhöffer, le directeur du Centre de recherche sur l’automobile (CAR) à l’université de Duisbourg-Essen qui est considéré comme le « gourou » de l’industrie automobile en Allemagne. Ses dirigeants tentent de trouver un moyen d’allier les moteurs essence, le diesel, le plug-in hybride et le tout électrique. Ils misent également sur l’hydrogène et les piles à combustible. Ils ne sont pas persuadés que le monde change aussi rapidement que cela mais ils perdent beaucoup de temps en jouant cette carte. Si vous laissez les années s’écouler sans réagir, vos avantages concurrentiels vont s’effriter, vous allez perdre des clients, l’image de votre marque va se dégrader et votre notoriété en matière de technologie sera écornée. Le groupe munichois est trop conservateur alors que VW et Daimler ont plus de courage. » Cette différence s’explique.

En plaçant sur 11 millions de ses véhicules un logiciel qui permettait de fausser les émissions de gaz polluant lors des tests, VW a vu son image sérieusement écornée. Daimler a, lui aussi, été impliqué dans l’affaire du Dieselgate. Ce scandale sans précédent a déclenché une valse des dirigeants chez ces constructeurs. Pour se démarquer de leurs prédécesseurs et face au succès de nouveaux venus comme Tesla, ces jeunes patrons ont opéré un virage à 180°. Les législateurs leur ont également forcé un peu la main.

« Les nouveaux standards très stricts imposés par la Commission européenne, la politique environnementale du président américain Joe Biden et l’annonce du gouvernement chinois qui veut réduire ses émissions de CO2 à partir de 2024 ont fait comprendre aux marques allemandes qu’elles devaient changer radicalement de stratégie, souligne Ferdinand Dudenhöffer. Les constructeurs et leurs sous-traitants n’ont pas cru durant des années au succès des véhicules électriques. Ils occupaient une position de leader dans les moteurs à combustion et ils ont commis l’erreur de jouer la carte de l’immobilisme pendant trop longtemps. » Les géants allemands ne disent pas le contraire.

Les nouveaux standards très stricts imposés par la Commission européenne, la politique environnementale du président américain Joe Biden et l’annonce du gouvernement chinois qui veut réduire ses émissions de CO2 à partir de 2024 ont fait comprendre aux marques allemandes qu’elles devaient changer radicalement de stratégie

« L’accord de Paris (qui vise à contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels) et le Dieselgate ont été les deux déclencheurs qui nous ont fait comprendre que nous devions faire preuve de plus de transparence et au final, nous avons fait le pari du 100% électrique », nous explique Rodolphe Chevalier, le responsable de l’électro-mobilité chez Volkswagen France. « La pression sur le changement dans l’industrie automobile ne s’atténuera pas, renchérit Nicolas Peter, le directeur financier de BMW. Notre secteur est dans une phase de transformation fondamentale. » Cette mutation représente une véritable révolution pour ces groupes mondiaux qui vont devoir investir gros, très gros pour s’adapter aux nouvelles exigences du marché.

VW va dépenser plus de 30 milliards d’euros dans les prochaines années. Pour propulser ses modèles électriques, le géant de Wolfsburg prévoit notamment de construire six usines de batteries en Europe d’une capacité de production totale de 240 GWh. Daimler a prévu, pour sa part, de posséder huit de ces « gigas usines » dans le monde. Ses dirigeants ont également annoncé qu’ils allaient investir 40 milliards d’euros pour passer au tout électrique. BMW est un peu moins généreux. « Nous allons dépenser 30 milliards d’euros en R&D, annonce Nicolas Peter. En juillet 2020, nous avons inauguré sur notre plus important site de production qui se trouve à Dingolfing en Bavière un tout nouveau centre d’E-Compétence qui comptera, à terme, plus de 2 000 salariés. Nous allons investir en deux ans 500 millions d’euros sur ce site qui développera la cinquième génération de notre technologie e-Drive. » Cette électrisation à marche forcée va contraindre les constructeurs à multiplier les lancements de modèles.

« Nous commercialisons aujourd’hui l’i3, l’iX3, l’i4 et bientôt l’iX1, l’i7 et l’i5, précise Ilka Horstmeier. D’ici la fin de l’année prochaine, nous allons lancer 35 nouveaux véhicules ». Daimler va, lui, compter trois plateformes dédiées exclusivement aux voitures électriques. La MB.EA sera destinée aux modèles de moyenne et grande taille. L’AMG.EA sera réservée aux bolides sportifs signées Mercedes-AMG et la VAN.EA équipera les fourgonnettes et les véhicules utilitaires légers. VW n’est pas en reste puisqu’il prévoit de proposer pas moins de 75 modèles 100% électriques d’ici 2029.

Le deuxième plus grand constructeur mondial veut toutefois aller encore plus loin et atteindre une neutralité carbone complète d’ici 2050. Cette stratégie de décarbonisation, baptisée « Way to Zero », implique de développer des chaînes de production et d’approvisionnement écologique. « L’usine de Zwickau en Saxe qui produit l’ID.3 et l’ID.4 est déjà alimentée à 100% en énergie renouvelable, note Rodolphe Chevalier. Ces modèles sont livrés aux clients avec un certificat de l’agence TÜV qui garantit leur bilan carbone neutre. Nos batteries devront aussi être 100% recyclables à terme. Nous venons, dans ce but, d’ouvrir un centre pilote de recyclage dans notre usine de Salzgitter » en Basse-Saxe.

Cette stratégie de décarbonisation, baptisée « Way to Zero », implique de développer des chaînes de production et d’approvisionnement écologique.

Longtemps réticents à se lancer sur le chemin de l’électrification, les constructeurs allemands vont-ils toutefois pouvoir rattraper le retard qu’ils ont pris sur certains de leurs concurrents ? « Je le pense, nous assure le directeur du CAR. Même Toyota qui profitait d’une certaine avance dans le tout électrique a une stratégie qui n’est plus totalement claire aujourd’hui. Hyundai, Kia et Tesla suivent une voie qui va dans la bonne direction et qui me semble rationnelle mais VW a pris des décisions radicales bien plus tôt que la plupart des autres grands constructeurs comme Stellantis, Renault ou Honda. » 

Les sommes que nos voisins prévoient d’investir ne risquent-elles pas néanmoins de mettre à mal leur rentabilité ? « Je ne le crois pas non plus, renchérit Ferdinand Dudenhöffer. Regardez les financements qu’Elon Musk est parvenu à trouver lorsqu’il a promis de vendre 20 millions de voitures dans un avenir proche… Les cours boursiers de Daimler et de VW ont bien progressé. Cela va leur donner davantage de moyens pour financer leur transformation. Daimler va, par ailleurs, introduire en bourse son activité poids lourds et bus afin de lever des fonds supplémentaires. L’arrivée du chinois Geely qui possède notamment Volvo et qui est devenu le plus important actionnaire unique du groupe avec 10% des parts va également lui permettre de développer des synergies. VW dégage, quant à lui, beaucoup de cash-flow et ses dirigeants pourraient bien mettre en Bourse Porsche et leur division spécialisée dans les batteries électriques. Ces opérations leur permettraient de trouver des liquidités importantes. » Le constructeur munichois, qui appartient toujours à la famille Quandt, n’est pas dans une position aussi confortable. « BMW n’a pas autant de leviers pour lever des fonds, s’inquiète notre expert. Le groupe est le maillon faible de l’industrie automobile allemande. » La course à l’électrisation est lancée mais personne aujourd’hui ne peut dire qui franchira le premier la ligne d’arrivée…

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