Est-ce que la réussite des entreprises peut-elle être sobre ? Salomé (Drive tout Nu) et Jean-Thierry Winstel (Bioviva)

Ces deux tribunes découlent des Universités de l’Economie de Demain, organisées par le Mouvement Impact France, qui se sont déroulées à Montpellier le 18 octobre dernier.

Salomé Géraud – Co-fondatrice du Drive Tout Nu

Non seulement elle le peut, mais surtout elle le doit ! Toutes les études scientifiques sur l’état de nos ressources naturelles et sur le réchauffement climatique sont unanimes : il nous faut agir rapidement. Il est donc souhaitable de passer d’une sobriété que nous finirons par subir si nous ne réagissons pas, à une sobriété choisie ! Notre rôle en tant qu’entrepreneurs, c’est d’être orienté solutions. Cela vaut pour notre quotidien avec nos équipes. Mais cela est valable aussi quand il s’agit d’inventer, d’incarner de nouveaux modèles, de nouveaux modes d’agir. En tant que petites entreprises, plus agiles face aux paquebots que sont les grands groupes, nous avons la responsabilité de démontrer qu’il est tout à fait possible d’allier performance économique et performance écologique et sociale. Par exemple, nous devons raconter une nouvelle histoire. Celles d’entreprises au sein desquelles les objectifs économiques sont nativement au service des objectifs d’impact. Chez Le Drive tout nu, comme chez bien d’autres entreprises du Mouvement Impact France, la sobriété, la réutilisation, l’économie circulaire et locale, la transparence sont au cœur même du modèle. Nous proposons un récit au sein duquel la sobriété n’est pas que regardée au prisme de la contrainte, du manque. Il est temps de rappeler que la sobriété, ce n’est pas toujours « moins de », cela peut être aussi « plus de » justice sociale, « plus de » justice environnementale, « plus » d’impact, « plus » de partage de la valeur. Il faut changer de narratif sur la sobriété pour embarquer les citoyens, les consommateurs, mais aussi les talents de demain dans ce mouvement et générer ce point de bascule vers une économie plus juste.

De plus, la sobriété d’une entreprise s’interroge aussi à l’aune de la répartition des richesses produites. Une entreprise sobre, c’est aussi une entreprise qui partage la création de valeur avec ses salariés. En ce sens, l’encadrement des écarts de rémunérations entre salariés et dirigeants, les mécanismes de participation des salariés à l’actionnariat et d’intéressement aux résultats de l’entreprise sont de formidables modèles pour remettre du sens dans la distribution des richesses !

Mais si le rôle des entreprises de l’Économie sociale et solidaire est absolument fondamental, celui des pouvoirs publics ne l’est pas moins. Pour que la réussite des entreprises soit sobre, il est important que la fiscalité soit modulée selon le degré d’engagement des entreprises et que l’investissement public soit fléché vers les entreprises à impact. Au regard de l’urgence, c’est aussi à l’État de mettre en place les bons mécanismes pour inciter les entreprises et leurs dirigeants au changement et ainsi rendre la sobriété attractive. A l’inverse, il faut du courage politique pour condamner et faire évoluer les pratiques des entreprises dont l’impact carbone est absolument désastreux pour notre planète. Enfin, le monde de la finance, lui aussi, doit devenir un allié de cette transition vers une économie plus sobre, en orientant massivement ses investissements vers des entreprises à impact. La notion même de valorisation d’une entreprise doit être réinterrogée. Encore aujourd’hui, quand une entreprise à impact lève des fonds, les critères de valorisation retenus ne sont pas ses externalités positives ou ses indicateurs d’impact, mais bel et bien les critères de chiffres d’affaires et EBE projetés. C’est un changement de paradigme total qui doit s’opérer si l’on souhaite évoluer vers une économie plus sobre.

Jean-Thierry Winstel – Fondateur de Bioviva

Personnellement, je pense que oui et je dirais même que c’est une obligation.

Selon moi, le terme « sobriété » est particulièrement rude. En même temps, ce qui est certain, c’est que nous devons réussir à faire plus, mais avec moins. Il faut donc être efficient. Par ailleurs, dans un monde fini, on ne peut pas observer une croissance infinie, cela ne fonctionnera jamais. Donc, l’entreprise doit provoquer sa révolution interne, en créant de la richesse globale et non plus seulement financière, en favorisant à la fois le progrès social, la préservation de l’environnement et la performance économique.

Pour qu’une entreprise tende vers la sobriété, elle doit prendre des risques. Dans le mot sobriété, on entend faire des économies sur les matières premières, mais aussi faire des choix stratégiques, orienté vers une croissance responsable, en décidant par exemple d’arrêter certains produits très impactant, voire en réduisant progressivement son chiffre d’affaires toxique, auprès d’entreprises avec lesquelles on ne partage pas les valeurs. Certaines activités n’ont plus lieu d’être. Il faut donc refuser d’y prendre part et ce, malgré les sollicitations et le fait que la concurrence fasse parfois fi de ces impacts négatifs.

La sobriété signifie également qu’une vraie culture d’entreprise doit être élaborée. La question d’un partage équitable mais raisonné de la valeur, au sein de cette même société, se pose alors. Cette problématique autour de la valeur est complexe puisque chaque collaborateur aura une perception différente sur la valeur, le salariat, l’entreprise ou bien encore sur l’entrepreneuriat. Nous n’avons plus le choix et devons tendre vers la sobriété et donc, vers d’autres modèles économiques, afin de proposer un avenir désirable aux générations futures. 

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