« Comment concevoir un produit numérique responsable ? » Julien Janson (Carbo)

C’est un fait, le numérique et les terminaux qui le font fonctionner sont devenus indispensables. Mais très peu connaissent réellement leurs impacts environnementaux. Pourtant, le numérique représente déjà 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2025[1].

En France, le secteur représente 2% des émissions et atteindra les 7% en 2040 si nous continuons à ce rythme[2]. Les émissions de CO2 des services numériques sont générées par la consommation électrique de trois sources distinctes : les appareils (ordinateurs, tablettes, téléphones…) qui consomment les services et contenus ; les réseaux par lesquels transitent les données affichées aux utilisateurs ; et les data centers hébergeant les données et le code source et répondant aux requêtes. Or bonne nouvelle, dès la conception des produits et services numériques – qu’il s’agisse d’un site internet, d’une application mobile, d’une application SaaS ou d’une API – il est possible d’agir à ces trois niveaux (et plus encore) pour en diminuer l’impact carbone ! Voici donc quelques pistes pour concevoir un produit numérique plus responsable.

Du respect des bonnes pratiques en matière de conception responsable

La conception de produits et services digitaux est souvent décriée d’un point de vue éthique en ce qu’elle peut maladroitement être résumée de la sorte : c’est l’action par laquelle des développeurs et autres professionnels du numérique sont grassement payés dans l’objectif de vampiriser les utilisateurs, ce en leur faisant passer le plus de temps possible sur des applications et sites web. À travers l’essor du mouvement de design et de conception responsable, les luttes sociale et écologique se rejoignent désormais de sorte à créer un numérique tout à la fois plus éthique, plus performant et plus sobre énergétiquement parlant.

Avant de démarrer tout projet numérique, il convient de définir ses objectifs. Or il s’agit dès cette phase amont de réfléchir à des KPI éthiques et écologiques. Plus on passe de temps sur un terminal numérique et plus l’on consomme de l’électricité et de la donnée, donc plus l’on émet de CO2. L’idée est donc ici – plutôt que de s’efforcer à ce que les utilisateurs restent courbés sur leur téléphone – de créer une interface efficace, leur permettant d’arriver rapidement à ce qu’ils sont venus chercher en diminuant au maximum le nombre de requêtes ou d’actions à effectuer. Néanmoins, pour réussir à sortir de ce paradigme, malheureusement généralisé aujourd’hui, de l’économie de l’attention, il convient de baser son business model sur d’autres leviers que la publicité, qui par nature, ne peut être responsable.

En termes de conception, cela se traduit ensuite par le fait de valider la pertinence de chaque fonctionnalité avant même d’avoir à la développer. Pour cela, l’approche MVP (Minimum Viable Product) permet de se concentrer sur le cœur fonctionnel du produit numérique. Vient ensuite un important travail d’optimisation de l’expérience utilisateur pour ne proposer et n’afficher que ce qui est nécessaire, puis de hiérarchisation des informations de manière efficiente, avec toujours le bon bouton au bon endroit.

De l’importance d’un développement sobre en énergie

En matière de développement, on privilégiera le local plutôt que les machines virtuelles dans le Cloud. On cherchera par ailleurs à disposer du code le plus léger possible, ce en ne stockant que des librairies et composants vraiment nécessaires pour éviter d’alourdir la base du code. Cette logique est bien intégrée aujourd’hui, d’abord pour des raisons de performance : un page web qui charge rapidement est plus agréable pour l’utilisateur et mieux référencée dans les moteurs de recherche. Mais outre la performance, cela a également des conséquences écologiques positives en ce que la vitesse d’affichage correspond au temps de réaction du serveur. Sollicité moins longtemps, il émettra moins de CO2.

Des choix graphiques sont ainsi de rigueur. La présence d’images qui tournent en continu est-elle indispensable ou bien n’a-t-elle pour simple objectif, outre l’aspect esthétique, que de « vitrifier » le cerveau des utilisateurs ? En ce qui concerne les vidéos, est-il réellement nécessaire de pousser la qualité de l’image à son maximum ? Il faut toujours garder en tête que chaque support visionné renforce un peu plus notre empreinte numérique – surtout s’il s’agit de contenus dynamiques ou interactifs, comme des vidéos, des GIFs ou des jeux. Aussi surprenant que cela puisse paraître, regarder une vidéo pendant une heure revient à consommer autant d’électricité qu’un réfrigérateur pendant un an[3]. Ces questions sont d’autant plus importantes que les créateurs d’outils numériques ne maitrisent pas les « tuyaux » par lesquels les données circulent. Or, au regard du mix énergétique mondial, rien ne prouve que ces données transiteront par des réseaux alimentés en énergie renouvelable. Le seul levier sur lequel nous pouvons agir est donc la baisse de la consommation électrique.

Le rôle crucial d’un choix d’hébergement plus « propre »

Dans cette même veine, il convient d’avoir une vraie réflexion sur l’hébergement de ses données, tant concernant le type de data center que sa localisation. Pour rappel, les data centers sont des hangars plutôt laids, qui poussent un peu partout dans le monde, et qui ont besoin de beaucoup d’électricité, de beaucoup de place et même de climatisation. Il y en aurait aujourd’hui 4 500 répartis dans 122 pays[4], représentant 2% à 3% de la consommation électrique mondiale[5]. Or cette électricité provenant en grande majorité du charbon, ils sont une pollution notoire.

Il s’agit alors de choisir un data center avec le refroidissement des serveurs le plus écologique possible (murs d’eau, bains d’huile, etc.) et basé dans un pays au mix énergétique tourné vers les renouvelables, ou a minima l’énergie nucléaire. La solution de facilité qui consiste à passer par les « hyperscalers » américains n’est donc pas la meilleure, les États-Unis tournant à l’énergie très carbonée. Par ailleurs, soyons clairs : un site n’a souvent pas besoin d’un serveur au maximum de ses capacités en continu. Ainsi, pour éviter de gaspiller de l’énergie, puisque le serveur ne s’éteint jamais, il est recommandé de le partager avec d’autres entreprises.

Enfin, des questions se posent également en matière de suivi des utilisateurs, notamment dans le choix des outils et la granularité du tracking. A-t-on réellement besoin de savoir absolument TOUT ce que font ces derniers ? Là encore, l’idée est de limiter au maximum la quantité de données à faire transiter et à stocker.Si nous avons listé plusieurs solutions vertueuses en termes de conception numérique, ou à défaut, qui s’inscrivent clairement dans une démarche visant à renforcer leur écoresponsabilité dans un futur proche, il est possible d’aller (encore) plus loin et de créer par la même occasion des externalités positives. L’utilisation du design (produit) peut en effet être un moyen de passage à l’action. Là où TikTok, quoi qu’on en pense, a théorisé un moyen de placer ses utilisateurs dans un tel état d’esprit qu’ils passent des heures à scroller sur l’application depuis leur cabinet de toilette, il est possible de créer chez ces derniers des habitudes sur des sujets à impact positif ! Alors, concepteurs de produits numériques, soyez créatifs, et faites en sorte de vous insinuer dans les cerveaux de vos utilisateurs pour leur faire faire des actions positives, pour la société comme pour la planète !


[1] Selon  le rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique » publié en octobre 2018 par The Shift Project.

[2] Selon un rapport du Sénat publié le 24 juin 2020 et tentant de détailler l’impact écologique de nos habitudes numériques.

[3] Selon un rapport de Greenpeace paru en 2017 et intitulé “Clicking clean: who is winning the race to build a green internet?”

[4] Selon Data Center Map

[5] Selon Jean-Marc Menaud, professeur à l’école d’ingénieurs IMT Atlantique à Nantes

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