Signé en décembre 2015, l’Accord de Paris a soulevé bien des espoirs. Entré en vigueur un an plus tard, ce traité international sur le changement climatique a gravé dans le marbre un objectif historique : maintenir la hausse de la température moyenne mondiale « bien en dessous des 2°C au-dessus des niveaux préindustriels d’ici à 2100 », et si possible en dessous des 1,5°C. Et, pour s’y tenir, des engagements précis ont été énoncés, et depuis actualisés. Mais difficile de savoir, jusqu’à présent, qui étaient les bons et les mauvais élèves de cet accord puisque jamais personne n’avait encore évalué le respect des promesses faites à l’époque par les 196 parties signataires (195 pays plus l’Union européenne). À quelques jours de la COP 29, qui se tiendra à Bakou (Azerbaïdjan) du 11 au 22 novembre prochains, un classement inédit, réalisé conjointement par l’Observatoire Hugo (Université de Liège, en Belgique) et Degroof Petercam Asset Management (DPAM, le fonds de gestion belge récemment racheté par le Crédit agricole), que nous publions en exclusivité, permet enfin de comprendre quel gouvernement a tenu ses engagements, ou pas, et de comparer le respect des promesses.
Les résultats de l’étude, réalisée sous la direction du chercheur François Gemenne, à la tête de l’observatoire Hugo, et portant sur les 23 pays les plus riches pour cette première édition, sont édifiants. Qu’on en juge ! L’Autriche se classe en tête du classement, devant l’Allemagne (2e) et la Suisse (3e). Et l’Islande, la Norvège, le Danemark et la Finlande, souvent érigés en modèles de la transition écologique, se retrouvent dans le ventre mou du palmarès (respectivement aux 8e, 10e, 11e et 12e rangs) derrière… l’Espagne (5e) et la France (9e). Le positionnement du Canada et des États-Unis ne surprend, en revanche, guère (ils occupent les deux dernières places), mais le classement permet de mesurer l’énorme retard pris par ces deux poids lourds en matière de promesses. Le score américain, de loin le plus faible de tous les pays étudiés, est 4,5 fois inférieur à celui de l’Autriche (10,5/100, contre 46,3/100), et 3,5 fois plus faible que le français (35,4).
Si le classement est aussi étonnant, c’est que la méthode est inédite. Soucieuse de coller au plus près à l’Accord de Paris, l’équipe a cherché à quantifier, pour chaque pays, le respect des engagements en passant en revue les principales promesses. Avec un objectif : construire un indicateur composite global (Cf. la méthodologie). « Il nous a paru important de développer un score pour objectiver la trajectoire par rapport aux promesses car il y a un vrai besoin de savoir où en sont précisément les différents pays dans ce domaine », explique François Gemenne, professeur à HEC et co-auteur du 6e rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Le chercheur, « très frappé par le fait que certains pays, et la France notamment, assurent être très vertueux, voire le seul pays qui agirait, sans savoir vraiment ce que les autres font », voulait éviter que les engagements restent des « promesses en l’air ».
Depuis la mise en œuvre de l’Accord de Paris en novembre 1996, de nombreux travaux sur l’action climatique ont, certes, dénoncé l’insuffisance des efforts au regard des objectifs. Et encore récemment le dernier rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement), selon lequel, sans efforts supplémentaires, la hausse des températures dépassera les 3°. Certains classements ont même tenté de comparer les pays entre eux. « Mais jusqu’à présent, aucun ne permettaient d’objectiver le niveau d’effort des pays au regard de leurs engagements », assure Aidan Geel, le doctorant qui travaille sur le projet. Soit ils affichent des résultats basiques de type vert / orange / rouge, soit ils se focalisent sur les seules émissions de gaz à effet de serre, en passant à côté des autres critères de l’Accord de Paris ». Or l’intérêt de l’Accord est d’être multidimensionnel : les pays ne doivent pas seulement réduire leurs gaz à effet de serre, ils ont aussi des obligations en matière d’adaptation, de moyens mis en œuvre, de transcription dans la loi, ou encore de transparence. Seul le respect de chacun de ses critères permettrait de gagner le combat contre le réchauffement.
Si les scores sont aussi déroutants, c’est aussi que l’équipe a pris le contre-pied de la démarche académique habituelle. Au lieu d’accepter la compensation totale entre bonnes et mauvaises performances intermédiaires pour calculer le score global – ce qui se fait habituellement, avec une méthode dite « linéaire » – elle a choisi de limiter cette possibilité en adoptant une méthode dite « géométrique » (les scores intermédiaires sont multipliés entre eux, et non additionnés). « C’est une méthode exigeante qui pénalise les mauvais résultats. Ainsi, impossible d’être dans le top si on a un score médiocre quelque part !», concède Aidan Geel. En somme, une démarche sans concession qui privilégient ceux qui agissent tous azimuts…
De même, les chercheurs ont décidé d’accorder une place importante à des critères généralement moins pris en compte. Les objectifs d’émissions projetées (d’ici à 2030) et de « net zéro », qui évalue l’ambition et l’exhaustivité de l’engagement d’un pays à atteindre des émissions nulles, représentent, certes, 50 % de la pondération totale. Mais la transparence multilatérale, qui juge l’engagement à rendre des comptes au niveau international, compte pour plus de 14 % du score final. Soit plus que les émissions d’aujourd’hui (9,3 %) ou que l’adaptation (10,9 %), qui jauge les efforts d’un pays pour renforcer sa résilience face aux effets du changement climatique, et presque autant que les moyens mis en œuvre (15,7 %), dont le critère prend principalement en compte le soutien apporté aux pays en développement sous la forme de flux financiers, de transferts de technologies ou de projets.
Résultat, l’Autriche apparaît comme le meilleur élève de l’Accord de Paris car elle performe bien ou très bien sur quasiment tous les critères. De même, si l’Allemagne se classe numéro deux en dépit d’émissions moyennes (elle se situe dans le dernier tiers du classement sur ce sujet), c’est parce qu’elle se rattrape sur les autres engagements. À l’inverse, le Danemark a beau être très bon dans le domaine des émissions (il est 5e / 23), sa piètre performance sur la transparence (18e) et sur le « l’objectif du net zero » (18e) le font plonger à la 11e place du palmarès. Idem pour l’Islande, dont l’excellent positionnement sur les émissions (numéro un sur ce critère !) ne lui permet pas de compenser ses très mauvais scores en matière de soutien aux pays en développement (19e) et de transparence (dernière !). Une chose est sûre : l’engagement que les pays peinent le plus à tenir est de loin celui des moyens mis en œuvre. En dehors du Japon et des Pays Bas, qui décrochent un score de respectivement 59/100 et de 44/100, aucun ne dépasse 25/100, et un tiers sont en dessous de… 10/100 !
Ce travail soulèvera à l’évidence des réactions, tant il rebat les cartes en matière de performance écologique. Mais il possède une vertu : attirer l’attention sur le fait que les promesses sont loin d’être tenues. Y compris par les pays les mieux classés. Sur une échelle de 1 à 100, l’Autriche, en tête du classement, se situe à moins de la moitié du maximum possible. La publication du palmarès tombe aussi à pic. Elle intervient alors même que les pays doivent actualiser, d’ici février 2025, leur plan climatique – appelé Contribution déterminée au niveau national (CDC) – révisé tous les cinq ans. Alors même, également, que les conséquences du réchauffement se multiplient, et que les experts alertent sur l’urgence climatique.