Alors que l’Union européenne amorce une pause dans la mise en œuvre du Green Deal, sur fond d’instabilité politique en France, les entreprises s’interrogent sur la direction à prendre. Allègement des normes de durabilité, recul sur la CSRD ou le devoir de vigilance : cette inflexion réglementaire soulève des questions cruciales sur la compétitivité, la responsabilité et le leadership écologique européen.
Pour Maxime Dupont, associé et directeur Conseil Impact & Durabilité chez Bartle, il ne s’agit pas d’une fin de cycle, mais d’un moment charnière où l’Europe, comme les entreprises, doit redéfinir ses priorités sans renoncer à l’ambition écologique.
The Good : Quel poids la France peut-elle encore exercer dans les négociations européennes sur le Green Deal ?
Maxime Dupont : La France reste un acteur central au niveau européen, qui a œuvré à l’émergence du Green deal comme à ce qu’on y retravaille fin 2024, début 2025… La France y reste un acteur de premier rang, par le poids de son économie, de son industrie et de ses alliances avec l’Allemagne et les pays du Sud, donc son « silence temporaire » crée surtout un vide stratégique que d’autres, comme l’Allemagne ou les pays nordiques, pourraient tenter de combler. La ligne de la France ne risque pas de changer en tout cas par rapport à la fin d’année dernière… 
The Good : Cette dérégulation marque-t-elle la fin de l’ambition écologique européenne ou constitue-t-elle une simple pause stratégique ?
Maxime Dupont : Il serait excessif d’y voir la fin du Green Deal, mais c’est clairement un coup porté à l’ambition UE 2050 d’être neutre en carbone… Il faut simplifier, redonner du sens, redonner envie, mais il ne faut pour autant pas arrêter et sortir de l’ambition de régulation. On assiste plutôt à un ajustement politique « technique » face à une conjoncture difficile : crise économique, retour de Trump, période d’inflation, tensions agricoles, crises budgétaires, montée du populisme… L’UE cherche un nouvel équilibre entre ambition écologique et acceptabilité politico-sociale.
Cette pause recouvre aussi une stratégie politique : consolider les acquis (taxonomie, Fit for 55, mécanisme carbone aux frontières), avant de lancer de nouvelles mesures plus contraignantes (ils ont annoncé un recul également sur UEDR). Le risque, toutefois, est que cette « pause » s’installe durablement sous la pression des lobbies industriels ou de certains gouvernements qui n’y voient pas un intérêt direct.
The Good : Comment les entreprises françaises vont-elles s’adapter à un éventuel allègement des règles européennes de durabilité ?
Maxime Dupont : Les entreprises les plus avancées, notamment les grands groupes et les PME déjà engagées dans la transition, ne reviendront pas en arrière. Les entreprises ont à l’inverse besoin d’y voir clair, d’avoir une vision, pouvoir engager les transformer qui leur incombent, investir là où elles doivent investir… Le temps de l’entreprise et le temps du politique ne sont pas les mêmes. Elles ont déjà investi dans la conformité CSRD, la mesure d’impact, ou la décarbonation, beaucoup y voient un levier de résilience et/ou d’opportunités. 
Si la réglementation évolue, l’urgence climatique elle restera, avec les impacts qu’on connaît sur nos chaînes de valeur (notamment grâce à la double matérialité de la CSRD), les dirigeants ne peuvent plus le nier. Ce sont des démarches désormais intégrées à leur stratégie de compétitivité et d’attractivité de marchés, de talents, etc. A contrario un allègement des règles pourrait créer une sorte de distorsion concurrentielle : les acteurs vertueux risqueraient d’être pénalisés face à ceux qui attendent ou ralentissent leurs efforts. Cela mettrait en tension la cohérence du marché intérieur européen.
The Good : Le recul sur la CSRD et le devoir de vigilance risque-t-il d’aggraver les atteintes sociales et environnementales dans les chaînes de valeur mondiale ?
Maxime Dupont : Oui, clairement. Ces deux instruments – la CSRD et la directive sur le devoir de vigilance – sont des piliers du modèle européen « green » … Leur affaiblissement enverrait un signal négatif aux marchés et aux pays tiers : celui d’un relâchement des exigences européennes avec toutes les conséquences en termes de nivellement par le bas de standards qui apparaissaient …
Or, c’est précisément la force normative de l’Europe qui tire vers le haut les standards internationaux, c’est aussi vu par certains comme le seul « salut » de l’Europe pour maintenir sa place. Moins de transparence et de responsabilité signifierait davantage de risques : violations des droits humains, déforestation, pollution, atteinte aux droits humains (enfants, etc.) … Les entreprises responsables perdraient aussi un cadre commun leur permettant de valoriser leurs efforts, de se comparer
The Good : Sans leadership clair en France, qui portera la défense des normes environnementales et sociales à Bruxelles ?
Maxime Dupont : À court terme, le leadership français reste, nous avons toujours un gouvernement, qu’il soit démissionnaire, formé, sur le départ… Avec des fonctionnaires de l’État et diplomates qui continuent de faire leur travail… 
Le leadership pourrait légèrement se déplacer ou s’élargir en tout cas vers d’autres États membres comme les Pays-Bas, la Suède, ou encore l’Allemagne selon la composition de sa coalition (leur situation n’est guère mieux que la nôtre).