A partir d’un tag « Ici commence la mer », apposé à côté d’une bouche d’égout, Sébastien Vrac a créé un job, – son job -, et commencé à tisser un réseau de partenaires qui lui permettront, si le succès de ses filtres en cheveux est au rendez-vous, d’industrialiser son invention. Voici l’histoire de Cotentin Filtration ou comment la préservation de l’environnement, et plus précisément de l’océan, peut créer de nouveaux modèles de business (vertueux …).
Pour l’heure, Cotentin Filtration débute sa percée. Sébastien Vrac fonctionne en mode artisanal. Mais la demande devenant de plus en plus importante, il a été amené à structurer un réseau de de sous-traitants et de partenaires. 
Outre les communes qui s’équipent, sa clientèle comprend des industriels dont nombre de salariés fument et jettent leurs mégots par terre, non loin des caniveaux. Ceux qui sont soucieux de préserver l’océan sollicitent Sébastien Vrac. Récemment, relate-t-il, « une entreprise qui fait de l’injection plastique m’a contacté car ils travaillent avec des billes de plastique et doivent s’assurer d’une bonne étanchéité du site ».
Fabrication 100 % française
Auparavant, l’entrepreneur fabriquait les supports des filtres dans son garage. En plastique, puis en inox, mais toujours maison. Depuis trois semaines, il les fait fabriquer par une entreprise locale qui est prête, si besoin est, à faire des grandes séries. Pour ses poches en maille, celles qui sont garnies de cheveux, Sébastien Vrac est partenaire de trois entreprises de tissu. « Je travaille notamment avec la Manufacture circulaire du Cotentin. »
Actuellement, il confie un tiers de son (« modeste !») chiffre d’affaires à son réseau. Mais il va grandir. « J’ai eu beaucoup de demandes ces derniers mois », sourit-il.
Sur l’aval, l’entreprise a signé un partenariat avec l’entreprise MéGO!, qui fabrique des plaques pour le mobilier urbain à partir de mégots dépollués. Et, bouclant la boucle, Sébastien Vrac utilise leurs plaques pour fabriquer ses supports de filtre, après les avoir recouvertes d’époxy pour les étanchéifier et neutraliser les odeurs.
Partenaires particuliers
Enfin, l’entrepreneur s’est assuré la collaboration de 28 coiffeurs de Cherbourg et environs, qui lui donnent des cheveux. « Je les trie et ne conserve que ceux qui sont longs de 5 cm et plus, parce que s’ils sont trop petits, ils ne restent pas dans la poche filtrante. » Les poils de chiens pourraient également garnir ses boudins – « des toiletteurs m’en ont proposé » – mais, précise-t-il, « je préfère que la solution à une pollution humaine ait une origine humaine ». 
Et puis…, en convient-il, les cheveux lavés par un coiffeur sont plus agréables à travailler que des poils d’animaux qui sentent moyennement bon… car le toiletteur ne lave l’animal, qu’une fois tondu. Cotentin filtration valorise ainsi une matière qui n’a que peu d’adeptes, sans contrepartie pour le coiffeur, puisque la collecte est gratuite.
L’amie Cherbourg
C’est à Cherbourg que l’aventure a débuté. S’étant arrêté devant un égout de cette ville portuaire, un jour de l’année 2022, après avoir été interpellé par le tag, Sébastien Vrac a mis son nez, ou presque, dans le caniveau et constaté le passage d’une pollution faite d’objets divers et de mégots. « Je me suis dit, c’est quand même dommage qu’il n’y ait pas de filtre…. Et comme j’aime trouver des solutions aux problèmes, j’ai imaginé un filtre à partir de cheveux. » 
Ce filtre a été testé à Sideville (Manche) où Sébastien Vrac est conseiller municipal. Le maire lui a laissé un caniveau pour tester son idée. Notre inventeur a alors multiplié les déchets pour éprouver son filtre. 
« J’ai mis beaucoup de mégots de plastiques, de papiers puis je les ai comptés dans l’avaloire pour m’assurer qu’ils étaient tous bien retenus. J’ai simulé une pluie d’orage pour vérifier que le filtre absorbait rapidement l’eau. » Les tests ont été concluants. En juin 2023, la ville de Cherbourg a équipé dix de ses caniveaux. Après six mois de test, elle en a commandé 36 supplémentaires. 
Plus de 30 kg de mégots
En 2024, année test, Sébastien Vrac a récupéré plus de 30 kg de mégots (un mégot fait 0.22 g), moult plastique et autres déchets du quotidien. Et d’autres choses invisibles à l’œil nu : à Cherbourg, relate-t-il, « nous avons fait des analyses en laboratoire des sédiments récoltés et nous avons notamment constaté la présence majeure de métaux lourds. Ils proviennent notamment de la route où la friction des plaquettes sur les disques de frein disperse des particules de métaux sur la route, sans parler du plastique des pneumatiques, etc. »
Le coût de l’installation de l’un de ces filtres, 100% fabriqués en France, représente 380 euros, auxquels il faut ensuite ajouter le renouvellement des poches filtrantes, qui valent 35 euros. Elles sont à changer en fonction de la pollution. « A Cherbourg, où la pollution est importante, il faut changer le filtre tous les mois. Dans des communes moins soumises à la pollution, tous les deux à trois mois suffit. »
Petit à petit, les adeptes s’ajoutent. Cotentin filtration équipe des caniveaux du Havre, de Landerneau, Dives-sur-Mer et de Lannion. Pour l’heure, Sébastien Vrac crée les filtres et les pose, puis vend les cartouches en cheveux qu’il a lui-même fabriquées, après avoir collecté les cheveux. Mais il ne pourra poursuivre seul ainsi très longtemps car son entreprise prend de l’ampleur. C’est tout le mal que nous lui souhaitons.
Contentin Filtration depuis 2012
Sébastien Vrac n’en est pas à son coup d’essai côté filtre à pollution. En 2012, alors qu’il appartenait à la Marine Nationale où il a exercé 22 ans, il avait conçu un filtre pour le bassin de carénage de Cherbourg. S’il avait alors déjà testé les cheveux, il avait abandonné cette matière car « la pollution était trop importante : les sédiments et les écailles de peintures se coinçaient dans les fibres de cheveux et le filtre se bouchait trop vite. Je voulais filtrer des éléments plus fins ; capter la peinture et autres polluants dans l’eau. Les cheveux ne sont pas adaptés pour filtrer une pollution particulaire mais ils sont très bien pour filtrer du plastique, des papiers, des mégots. J’avais conservé l’idée en tête ».