Dix ans après ses premiers ateliers, la Fresque du Climat s’est imposée comme un outil pédagogique incontournable, aussi bien auprès des citoyens que des grandes entreprises et des institutions. Forte d’un modèle décentralisé et participatif, elle a franchi le cap du million de participants en cinq ans.
Rencontre avec Cédric Ringenbach, son fondateur, qui revient sur les clés de ce succès mondial, les leviers de mobilisation face au climatoscepticisme, et l’avenir d’une éducation populaire à l’écologie.
The Good : Dix ans après la première Fresque, quel regard portez-vous sur l’évolution de cet outil ?
Cédric Ringenbach : La Fresque a prouvé qu’un outil d’intelligence collective, porté par une communauté d’animateurs motivés pouvait faire des miracles. Entre 2018 et 2023, nous sommes passés d’un millier à un million de participants, soit une multiplication par 1000 en cinq ans. Cela est dû à la croissance organique (certains participants deviennent animateurs, certains animateurs deviennent des formateurs et les formateurs se cooptent entre eux).
Ce qui caractérise l’outil Fresque du Climat, c’est d’abord un format participatif, puis une licence ouverte et un mode d’organisation décentralisé qui permet une croissance organique, et enfin la possibilité d’être rémunéré dans certaines circonstance pour certains animateurs, ce qui leur permet d’avoir des activités bénévoles en parallèle. Ce « modèle d’affaire » est assez unique dans le monde associatif, c’est probablement une invention assez innovante et qui y est pour beaucoup dans le succès du projet.
The Good : Vous attendiez-vous à un tel succès mondial ? Quelles sont, selon vous, les raisons de cette appropriation massive, aussi bien par les citoyens que les grandes entreprises ou les collectivités ?
Cédric Ringenbach : Quand j’ai vu l’énergie et l’enthousiasme des premiers animateurs autour de moi, j’ai su qu’on avait dans les main un outil fantastique, et à partir du moment où le déploiement organique était en place, oui, je savais que le projet irait loin, même si je ne savais pas exactement à quelle vitesse. En 2018, j’ai annoncé qu’on visait un million de participants parce que je savais qu’on allait le faire. Je ne savais juste pas en combien de temps.
Mon estimation optimiste était de 3 ans, et la plus pessimiste de 10 ans. Finalement, il a fallu 5 ans. La raison de cette appropriation massive, c’est probablement le caractère autoporteur de l’atelier. La version courte de la formation à l’animation ne dure qu’une demi-journée et permet pourtant de devenir vraiment autonome.
The Good : La Fresque du Climat a marqué un tournant dans la pédagogie autour des enjeux environnementaux. En quoi cette méthode participative et décentralisée est-elle plus efficace que les approches classiques ?
Cédric Ringenbach : Le fait qu’une méthode pédagogique basé sur l’intelligence collective fonctionne bien me semble être déjà bien documenté par les sciences du savoir. On apprend bien mieux quand on a été acteur de son acquisition de connaissance. Le mode d’organisation décentralisé du projet est une brique supplémentaire qui permet aux « fresqueurs » de s’organiser en toute autonomie, partout sur le terrain, sans avoir à rendre de compte à personne.
Cela se concrétise également dans les entreprises : quand un prestataire accompagne une entreprise, cela consiste à organiser quelques ateliers, puis très vite une formation pour que les animateurs internes prennent le relai, un peu de coaching des animateurs débutants, et ensuite, le but est que l’entreprise s’autonomise le plus vite possible, jusqu’à ce qu’elle ait ses propres formateurs en interne. C’est ce qui s’est passé dans des entreprises comme EDF, Saint-Gobain, la Caisse des Dépôts.
The Good : Vous parlez souvent du « triangle de l’inaction » entre citoyens, entreprises et pouvoirs publics. Quelles clés concrètes la Fresque offre-t-elle pour sortir de ce triangle et faire émerger une dynamique collective de transformation ?
Cédric Ringenbach : La Fresque met les participants face à leur propre responsabilité en tant que citoyens, mais également en tant que salariés d’une entreprise ou en tant que personnel politique. Nous sommes attentifs à ce que les discussions ne s’embourbent pas dans la posture de « c’est pas moi, c’est les autres », qui est stérile et démobilisatrice.
Nous faisons en sorte que les participants soient lucides sur le constat, optimistes par rapport aux solutions, et prêts à passer à l’action.
The Good : En cette période de désinformation et de montée du climatoscepticisme, comment la Fresque peut-elle rester un levier de mobilisation ? Peut-elle être un rempart contre l’éco-anxiété et le repli, comme le suggère la glaciologue Heidi Sevestre ?
Cédric Ringenbach : Dans ce moment de recul sur les questions environnementales, il est plus que jamais important de donner aux citoyens la possibilité d’agir, car l’action est le meilleur antidote à l’éco-anxiété. La sensibilisation est et restera pour encore de nombreuses d’années la première brique de la transition écologique.
On ne peut pas passer à l’action si on n’est pas conscients du problème. C’est une condition nécessaire, certes pas suffisante, mais c’est tout de même une condition nécessaire !
The Good : Comment voyez-vous l’avenir de cette forme d’éducation populaire à l’écologie ?
Cédric Ringenbach : Il semble que ce format de sensibilisation soit déjà en train de devenir un nouveau standard dans le monde de l’éducation populaire. Je souhaite à tous les projets pédagogiques qui se sont inspirés de la Fresque du Climat de connaître le succès qu’ils méritent et puissent ainsi contribuer à la prise de conscience sur l’ensemble des questions environnementales et sociétales.
Pour ce qui est l’avenir de la Fresque du Climat, c’est le passage à l’international qui nous occupe principalement maintenant. Il y a une dynamique incroyable dans les pays qui démarrent.